mardi 22 mars 2011

Fièvre obsidionale à Montréal /1

 

Depuis des années, on entend et on lit des témoignages sur le recul du français à Montréal. Recul avéré ? On peut hésiter à l'affirmer : des témoignages isolés quoiqu’assez nombreux ne constituent pas nécessairement un indicateur fiable, d’autant que les indicateurs dont nous disposons actuellement n’invitent pas à autant d’alarmisme (abstraction faite, bien sûr, des prévisions démolinguistiques). Mais c’est pure perte de temps que de combattre des perceptions en leur opposant des indicateurs. Car l’insécurité linguistique à Montréal est un fait social et, comme tel, elle existe bel et bien.
Les perceptions, fondées ou non, peuvent s’imposer et devenir un fait social.
L’idée du recul du français à Montréal a fini par s’imposer avec l’évidence d’un fait social.
Tous les témoignages alarmistes proposent la même solution : affirmer davantage le fait français dans la vie publique à Montréal et, en particulier, lorsque les francophones entrent en relations avec des locuteurs d’autres langues. D’ailleurs, le français, s’il était vraiment la langue commune, devrait être spontanément utilisé entre personnes de langues différentes, même entre les anglophones et les allophones. Rappelons que faire du français la langue commune, la langue de communication normale et évidente entre Québécois d’origines diverses, était l'objectif de la Charte de la langue française. Cela n’a toutefois pas empêché le gouvernement du Québec de continuer à envoyer des messages ambigus, comme celui-ci, dissimulé dans une note de bas de page de l’énoncé de politique sur l’immigration de 1990 :
Cependant, il est probable — et somme toute compréhensible — que certains de ces immigrants continueront de privilégier l’intégration à la communauté anglophone, surtout à la première génération. Par la suite, l’impact de la fréquentation de l’école française par leurs enfants devrait favoriser leur intégration progressive à la communauté francophone. Le Gouvernement reconnaît donc le rôle qu’ont à jouer certaines institutions anglophones — notamment celles du réseau de la santé et des services sociaux — dans l’intégration d’une partie des nouveaux arrivants ainsi que dans le soutien à la pleine participation des Québécois des communautés culturelles plus anciennes qu’elles ont accueillis dans le passé. C’est pourquoi, même si la priorité sera accordée à l’adaptation à la réalité pluraliste des institutions francophones où le rattrapage à effectuer est plus important, le Gouvernement soutiendra également, dans le cadre de sa politique d’intégration, les institutions anglophones.
Au Québec pour bâtir ensemble. Énoncé de politique énoncé de politique en matière d’immigration et d’intégration, 1990, p. 4, note 8.

Comment parvenir à l’affirmation du français comme langue normale de convergence entre Québécois d’origines diverses ? Cela ne peut être laissé seulement à la simple initiative individuelle. Il faut un plan d’ensemble impulsé par l’État. La Catalogne peut nous servir d’exemple. Dans les premières années de normalisation de la langue catalane – normalisation : rendre normal l’usage du catalan dans la vie de tous les jours – le gouvernement de la Generalitat avait entrepris une campagne de publicité très originale.
La campagne de « la Norma », de 1982 à 1985, a été la première campagne de sensibilisation pour lancer le projet de normalisation de l’utilisation du catalan. Rappelons le contexte, très semblable à celui qui est vécu à Montréal : la population catalanophone avait pris l’habitude de passer au castillan (c’est-à-dire à l’espagnol) dans ses relations avec les personnes parlant cette dernière langue et ce, tant dans services publics que dans les relations privées avec les voisins, les commerçants, etc. Dès qu’un catalanophone était en présence d’un inconnu, l’usage de l’espagnol s’imposait. Et la raison invoquée le plus souvent pour justifier ce comportement était le besoin de se montrer poli et respectueux de la langue de l’autre. Quant aux hispanophones, ils s’adressaient en espagnol à tout le monde, même aux personnes de langue maternelle catalane. Quand on leur demandait de justifier leur comportement, ils répondaient que, s’ils ne voulaient pas parler catalan, c’était par peur de commettre des fautes. Pour contrecarrer ces habitudes, les autorités catalanes ont lancé une campagne de sensibilisation basée sur le personnage d’une petite fille impertinente appelée Norma, prénom qui évoquait évidemment la normalisation linguistique souhaitée (en fait, la petite fille s’appelait « la Norma », car, en catalan, on utilise l’article avec les prénoms). La publicité utilisait un slogan mobilisateur : « le catalan, c’est l’affaire de tout le monde » (« El català, cosa de tots »).
La petite Norma, fillette d’une douzaine d’années, est apparue dans des publicités filmées, des bandes dessinées, des émissions de radio et un court-métrage où elle véhiculait un message critique et souvent impertinent. Ce type de message critiquant le comportement des adultes aurait été inacceptable dans une publicité traditionnelle émanant des pouvoirs publics mais il perdait son caractère offensant dans la bouche d’une petite fille présentée comme impertinente. C’est ainsi qu’elle se permettait de demander à son père pourquoi il parlait espagnol plutôt que catalan avec des inconnus.

Campagne de 1982 de promotion du catalan

Pourquoi ne tenterait-on pas la même expérience au Québec ? Il pourrait y avoir une publicité où on verrait un enfant demandant à son père : papa, pourquoi tu as changé de langue lorsque le commis du dépanneur t'a répondu en anglais, pourquoi tu as passé ta commande en anglais au restaurant, etc. ?
On pourrait même s’inspirer d’une campagne menée par l’Office de la langue française des années 1960-1970 : bien parler, c’est se respecter et respecter ceux à qui on s’adresse. Je verrais très bien un slogan comme le suivant : parler français, c’est se respecter et se faire respecter. Bien entendu, un tel slogan fera peur aux timorés, aux bonne-ententistes, aux pusillanimes et aux pleutres. Si le gouvernement hésite à entreprendre une campagne pour recanaliser vers le français le mouvement de convergence linguistique des francophones trop portés à faire usage de l’anglais dès qu’ils entrent en contact avec des personnes de langue différente, je ne peux pas croire qu’il n’y aura pas d’associations assez courageuses pour le faire.
L’expérience catalane montre toutefois qu’il faudra plus qu’une simple campagne de sensibilisation pour changer des comportements linguistiques ancrés aussi profondément. Mais ce pourrait être le début d’une mobilisation qui pourrait par la suite cibler des secteurs plus problématiques. Le laisser-aller ne peut, dans les circonstances actuelles, que faire croître le sentiment d’insécurité linguistique.



Campagne 2009-2010 de promotion du catalan

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