mardi 29 mars 2011

Fièvre obsidionale à Montréal /2



Y a-t-il vraiment recul du français à Montréal ? Il existe des indicateurs qui permettraient de nous aider à nous faire une idée à ce sujet mais, malheureusement, ils n’ont pas été mis à jour depuis 1995.
L’enquête de Daniel Monnier sur la langue d'accueil et la langue de service dans les commerces à Montréal, publiée en 1989, est basée sur l’observation directe de certains secteurs commerciaux typiques de l'île de Montréal. Elle a été refaite en 1995.

Rappelons certaines constatations de 1989 :
« En ce qui concerne la langue d'accueil, les magasins sur rue du centre-ville ouest, de Mont-Royal, de Côte-des-Neiges et de Snowdon l'accueilleront en français dans 60 % des cas et en anglais, 40 %. À l'extrême ouest, l'accueil dans les commerces sur rue aura lieu pour la moitié en français. Dans les centres commerciaux, l'accueil se fera en français dans environ 80 % des cas au centre de l'île et dans 50 % des cas à l'extrême ouest. Si cette personne contacte les commerces par téléphone, elle sera accueillie en français dans au moins les deux tiers des cas.
Quant à l'impossibilité d'être servie en français, cette personne aura de 9 à 13 chances sur 100 de s'y heurter dans les commerces sur rue des zones suivantes : boulevard Saint-Laurent et ses environs, Mont-Royal, Côte-des-Neiges et Snowdon, Côte-Saint-Luc, Dollard-des-Ormeaux, Dorval, Pointe-Claire. Au centre-ville ouest, les chances seront de 7 sur 100. Dans les centres commerciaux et les magasins à rayons, elle sera servie en français dans au moins 96 % des cas. »
(Daniel Monnier, Langue d'accueil et langue de service dans les commerces à Montréal, Conseil de la langue française, 1989)

Curieusement, la deuxième enquête (Daniel Monnier, Langue d’accueil et de service dans le domaine commercial, mars 1996), publiée en annexe du bilan de la situation linguistique, n’est pas disponible sur le Web. Le Rapport du Comité interministériel sur la situation de la langue française[1] résume ainsi l’évolution de 1989 à 1995 :

« L’accueil en français est majoritaire dans tous les types de commerces et dans toutes les zones de l’enquête qui a été menée en 1995. On remarque que l’usage du français est resté stable ou a progressé de 1988 à 1995 dans l’ensemble des zones d’observation.
En 1995, la possibilité de se faire servir en français est quasiment généralisée dans toutes les zones d’observation. Les consommateurs réussissent à se faire servir en français dans 95% à 100 % des commerces visités. »

Si le résumé fait par le Comité n’est pas entièrement faux, il n’est pas complètement fidèle aux conclusions de l’auteur de l’étude. En particulier :
– là où le Comité écrit « l’usage du français est resté stable ou a progressé de 1988 à 1995 dans l’ensemble des zones d’observation », l’auteur a plutôt écrit : « entre 1988 et 1995, le sens de l’évolution est moins net puisque selon les aires d’observation, on enregistre à la fois de la stabilité, du progrès et un recul ».
– Selon le résumé du Comité, « les consommateurs réussissent à se faire servir en français dans 95% à 100 % des commerces visités ». Mais selon l’auteur de l’étude, « en ce qui concerne le service en français, l’impossibilité de l’obtenir est au plus de l’ordre de 10 %, mais les centres commerciaux du centre-ville ouest et les magasins à rayons font exception (de 0 à 3 %). »

Puisque le rapport de l’enquête de 1995 n’est pas facilement accessible, en voici quelques extraits :


« Le volet de l’étude de 1995 qui a eu recours à des observateurs d’ethnies diverses montre, dans plusieurs cas, un écart important de la proportion d’accueil en français par rapport aux observateurs appartenant à la majorité. Ainsi, dans les commerces sur rue des zones englobant le boulevard Saint-Laurent et le centre-ville ouest, de même que dans les centres commerciaux de Côte-des-Neiges–Snowdon, l’accueil en français a été nettement inférieur à l’endroit des observateurs dits ethniques. » (p. 15)
« La conclusion générale qu’appellent ces données est que, si l’usage du français domine dans les contacts entre les commerçants et la majorité, une proportion appréciable de francophones se fait accueillir en anglais dans certains types de commerces de certaines zones, et cela est vrai notamment pour le centre-ville ouest. Les personnes d’origines ethniques diverses, identifiables par leurs traits physiques, sont, dans 3 aires d’observation sur 7, accueillis [sic] autant en anglais qu’en français. Il ne peut alors s’en dégager pour eux [sic] l’image d’un Québec nettement francophone, une situation de fait qui n’aide pas à leur intégration en français. En ce qui concerne le service en français, l’impossibilité de l’obtenir est au plus de l’ordre de 10 %, mais les centres commerciaux du centre-ville ouest et les magasins à rayons font exception (de 0 à 3 %). Ajoutons toutefois que notre méthode d’enquête, qui force l’observateur a [sic] demander le service en français, tronque un peu la réalité puisque ce n’est pas tout le monde qui continue la conversation en français, après un accueil en anglais. Selon une étude du Conseil faite en 1985, entre 4 ou 5 francophones bilingues sur 10 accueillis en anglais dans un commerce disaient continuer tout de go en anglais. Nos études de 1988 et de 1995 révèlent donc, en ce qui a trait à la langue de service, la possibilité d’utiliser le français plutôt que son usage réel. De plus, il serait intéressant de faire une réplique de ces études en demandant aux observateurs d’utiliser l’anglais plutôt que le français lorsqu’ils font leur demande de service. Il est plausible que, sans atteindre le niveau de service en français ici constaté, l’obtention du service en anglais serait néanmoins élevé [sic] : l’anglais occupe déjà une part importante dans l’accueil du client et les employés de commerce doivent être un peu plus bilingues que la population montréalaise en général. » (pp. 24-25)

« […] si l’on essaie de saisir le sens de l’évolution, on peut croire qu’il y a eu une évolution importante et favorable au français dans les contacts entre les clients et les commerçants depuis les années 1960, mais sur une perspective à plus court terme, soit entre 1988 et 1995, le sens de l’évolution est moins net puisque selon les aires d’observation, on enregistre à la fois de la stabilité, du progrès et un recul. » (p. 25)


 [1] Rapport du Comité interministériel sur la situation de la langue française, Ministère de la Culture et des Communications, Québec, 1996, 319 p.

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