mardi 9 août 2011

Changement de venue = dépaysement


Pour fêter les 50 ans de l’OQLF

Pour célébrer le cinquantième anniversaire de l’Office québécois de la langue française, je me permets, en guise de présent, d’apporter une modeste contribution pour combler une lacune du Grand Dictionnaire terminologique.


Changement de venue est une expression des plus courantes dans la langue des tribunaux au Québec et au Canada. Quelques exemples suffiront à le prouver :

Source : Code Criminel et lois connexes annotés, 2008


Pourtant changement de venue (dans le sens de changement de district judiciaire) est absent du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française. Le GDT a toutefois une fiche (de 1984) angl. venue = lieu du procès (notons quand même qu’en anglais courant venue a aussi le sens de « lieu de réunion » et de « rendez-vous »). Venue et changement de venue sont absents de la Banque de dépannage linguistique.


L’expression changement de venue figurait pourtant dans Le parler populaire des Canadiens français de Narcisse–Eutrope Dionne (1909).


Une « capsule linguistique » de Radio-Canada nous offre déjà plus de renseignements que le GDT :


Un changement de venue, c'est pour être jugé dans un autre district judiciaire…

Le terme « changement de venue » est un calque de l’anglais qu’on doit généralement remplacer par changement de lieu, dans la langue générale. Dans la phrase ci-dessus, compte tenu du contexte juridique, il aurait plutôt fallu parler d’un RENVOI DEVANT UNE AUTRE JURIDICTION.
Source : http://www.radio-canada.ca/radio/francaismicro/ description.asp?ID=1415&CAT=C&leid=553&lacat=z


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En fait, il y a un terme parfaitement français – et beaucoup plus court – que changement de lieu ou renvoi devant une autre juridiction : c’est dépaysement, que j’ai entendu pour la première fois presque par hasard au 20 Heures de France 2. On essaiera de faire valoir contre ce mot qu’il est « totalement inusité au Québec » (voir ce qu’il y a à penser de ce genre d’argument dans mes billets « Banderilles /1 » et « Banderilles /2 »). Et puis, quand on y pense un peu, la terminologie étant l’étude des termes techniques, il est bien normal que, plus souvent qu’autrement, elle s’occupe de termes peu usités ou quasi inusités, sauf chez les spécialistes.


Même en France, le terme dépaysement (dans le sens de renvoi à une autre juridiction) n’est guère connu du grand public. C’est d’ailleurs pourquoi je reproduis, pour conclure mon billet, un communiqué de France Info.



Le "dépaysement" en Droit, c’est quoi ?
Drôle de terme que "dépaysement" pour qualifier le simple fait de faire instruire une affaire par une autre cour. Ce vocable imagé d’ailleurs est introuvable dans les textes. Dans le Code de procédure pénal, on parle plus prosaïquement du "renvoi d’une affaire d’une juridiction à une autre". Autrement dit, on la déménage de son tribunal naturel vers un autre tribunal siégeant plus loin.
Dans quel cas, peut-on dépayser ?
"Pour cause de sûreté publique" ou "dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice", dit le Code. Dans l’affaire Bettencourt, c’est le deuxième motif qui est invoqué, motif plutôt vague, qui peut donc prêter à diverses interprétations.
Le but, in fine, est évidemment de dépassionner les débats, notamment dans les affaires politico-judiciaires. Ainsi, en 1992, le procès d’Henri Emmanuelli dans l’affaire Urba avait eu lieu devant le tribunal correctionnel de Saint-Brieuc, dans les Côtes d’Armor, alors que les faits portaient sur le financement occulte du Parti socialiste dans la Sarthe.
Autre exemple, plusieurs volets du dossier des disparues de l’Yonne, normalement instruits à Auxerre, avaient été dépaysés à Paris en mars 2002 pour "lever le trouble et la légitime émotion des familles", après des "accusations et insinuations" à l’encontre de l’institution judiciaire.
En tout état de cause, c’est la chambre criminelle de la Cour de cassation qui statue sur une demande de dépaysement. Elle a, selon les cas, 8 à 15 jours pour le faire.
On notera enfin qu’on ne peut dépayser une enquête préliminaire. C’est pour ça qu’à la demande de sa hiérarchie, le procureur Philippe Courroye s’est résolu à ouvrir une information judiciaire regroupant trois enquêtes préliminaires.



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