lundi 12 décembre 2011

Mocauques en rupture de stock


Pour ceux qui ne comprendraient que le québécois standard, je traduis le titre : les atocas sont back order.


Je poursuis aujourd’hui l’analyse commencée dans le billet du 1er novembre 2011, « La courante ». J’y traitais de la fiche « canneberge » du Grand Dictionnaire terminologique et de ses cinq « quasi-synonymes ». Rappelons la fiche :

quasi-synonyme(s)
   mocauque n. f. [langue courante]
   atoca n. m. [langue courante]
   ataca n. m. [langue courante]
   gros atoca n. m. [langue courante]
   pomme de pré n. f. [langue courante]
Cette baie est rarement consommée nature, mais plutôt sous forme de gelée, de purée ou de jus.
Les termes canneberge et atoca s'appliquent indifféremment au fruit de Vaccinium macrocarpon et à celui de Vaccinium oxycoccos. Le fruit de Vaccinium macrocarpon est cependant plus gros que celui de Vaccinium oxycoccos. Au Canada, bien que les deux espèces soient récoltées dans les tourbières ou dans les marécages, l'espèce Vaccinium macrocarpon est prédominante. En Europe, on ne trouve que l'espèce Vaccinium oxycoccos.
Le nom latin sert couramment à l'identification du fruit, même s'il désigne plutôt la plante dont il est issu.
Le terme airelle à gros fruits est surtout technique et est moins fréquent dans l'usage québécois.
Les termes atoca (variante ataca) et gros atoca sont davantage employés au Québec, alors que pomme de pré et mocauque sont particuliers au français acadien. Le terme atoca est d'origine iroquoienne.


Comme on le voit la marque [langue courante] dans le GDT de l’Office québécois de la langue française peut même s’appliquer au français acadien. Puisque le GDT se mêle de dialectologie, allons voir la valeur de ses remarques dans le domaine.


On aura d’abord constaté que les cinq « quasi-synonymes » de canneberge ne sont pas présentés par ordre alphabétique. Fait plus curieux encore, le « quasi-synonyme » donné en premier, mocauque, est présenté en note comme propre au français acadien. Pourquoi la première place à mocauque ? Ce ne peut être à cause de sa fréquence, comme le révèle une recherche faite à l’aide de Google (il est quasi en rupture de stock...). Il faut que je fasse ici une remarque sur les limites des recherches que permet de faire Google. Je me suis en effet rendu compte qu’en interrogeant sur le mot mocauque, Google livrait comme résultats des pages où le mot mocauque ne figurait pas mais où apparaissaient… monocoque, pneumocoque, etc. J’ai donc précisé la recherche en excluant certains mots dont la liste est donnée sous les tableaux. Et pour plus de sûreté j’ai fait la même recherche quelques jours de suite en octobre et je l’ai refaite en décembre (je donne les résultats du 31 octobre et du 12 décembre).
 
 
Cette recherche a livré un premier résultat intéressant : le mot mocauque au sens de « canneberge » n’est présent que dans moins de 300 des 759 pages comportant le mot et recensées le 12 décembre. Par rapport au mot canneberge et à ses autres synonymes (figurant dans plus d’un million de pages), mocauque est statistiquement insignifiant (voir les deux tableaux).



*Lorsque le mot fruit apparaît aussi dans la page, pour éviter la confusion avec un danseur portoricain.
**La recherche du 31 octobre a été faite en excluant les pages où apparaissaient les mots suivants : monocoque pneumocoque vaccin tourbe petit grand pointe mocoque allee toponyme lac ruisseau plaine


Le sens le plus fréquent de mocauque est celui de « savane » mais dans le sens que ce dernier mot a en français québécois (« terrain bas, parfois marécageux, caractérisé par l'abondance des mousses et de [sic] la rareté des arbres », GDT, terme normalisé par l’OQLF). Or, on ne trouve pas ce sens de mocauque dans le GDT. Il est toutefois consigné dans la banque de données Termium du Bureau de la traduction à Ottawa.

 (Cliquer sur l'image pour l'agrandir)



Selon le Glossaire acadien de Pascal Poirier, le mot mocauque désigne d’abord une savane :

MOCAUQUE. Savanne [sic]. Se dit aussi, aux Îles-Madeleine [sic], d'une petite baie sauvage qui croît dans les mocauques et qui a un peu le goût de la pomme-de-prée (atoca).


On trouve dans le Lexique caractéristique du parler acadien actuel (https://dictio.flsh.usherbrooke.ca), repris dans le lexique d’acadianismes du Franqus :

MOCAUQUE n. m. REM. On écrit aussi mocôque, môcôque.
FAM. Terrain bas et humide entouré de forêt. Syn. SAVANE. « Katchou et Radi avaient pris le chemin du mocauque, ces espèces de landes tout en broussailles qui jouxtent la forêt » (A. Maillet, 1996).


Soulignons-le : le lexique d’acadianismes du Franqus, s.v. mocauque et s.v. pomme de prée, ne donne pas le sens de « canneberge » au mot mocauque mais seulement celui de « savane ».


Le premier « quasi-synonyme » que le GDT donne à canneberge est donc statistiquement insignifiant. Pourquoi alors l’avoir mis en premier ? Je n’ai pas de réponse à cette question.


Par ailleurs, l’Office se mêle de dialectologie acadienne au point de normaliser l’orthographe et la morphologie des acadianismes. Pour le sénateur Poirier, le mot prée dans l’expression pomme de prée (autre synonyme de canneberge) était féminin et il justifiait ce féminin par l’étymologie (le masculin pré venant du neutre singulier pratum et le féminin prée du neutre pluriel prata, féminisé par analogie avec la désinence des mots de la 1re déclinaison). Le lexique d’acadianismes du Franqus, rédigé par une linguiste acadienne, écrit le mot au féminin. Le GDT s’aventure du côté de la dialectologie mais sans justifier ses choix. Faire de la dialectologie, est-ce bien son rôle ?


On peut enfin se demander ce que fait la mention [langue courante] après le mot atoca. Ce mot est entré depuis longtemps dans la langue littéraire :

Nous restâmes quelques minutes sans parler; enfin je fus le plus courageux et je dis : « Que cueillez-vous là? La saison des lucets et des atocas est passée ». Elle leva de grands yeux noirs timides et fiers, et me répondit : « Je cueillais du thé ».
CHATEAUBRIAND, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 1, 1848, p. 268 (cité dans le Trésor de la langue française informatisé).


Encore une fois on se rend compte que le GDT utilise la marque [langue courante] à temps et à contretemps.


P.S. pour la petite histoire : dans les années 1960, il n’y avait qu’une seule entreprise qui commercialisait le jus de canneberge. Elle a consulté l’Office de la langue française sur l’appellation de son produit. L’Office lui a répondu qu’il acceptait aussi bien canneberge qu’atoca. L’entreprise a choisi canneberge qui s’est ainsi imposé dans l’étiquetage.



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