lundi 9 janvier 2012

Un ancien tabou linguistique



Il était une fois une collègue qui me contait qu’il y a une cinquantaine ou une soixantaine d’années la publicité, dans la ville de Québec, n’osait pas utiliser le mot fourreur et l’avait remplacé par fourrurier.


Ces jours derniers, j’ai eu à consulter plusieurs documents du XIXsiècle, les recensements, l’almanach Cherrier (Almanach des adresses Cherrier de la Ville de Québec…) et les annuaires Marcotte. J’ai souvent rencontré le nom d’Amable Proulx, décrit dans les premiers annuaires Marcotte comme « furrier » (édition de 1866-1867 : « Proulx, Amable, furrier, 5 Couillard st. U.T. [=Upper Town] »)[1]. En anglais. On a oublié jusqu’à quel point Québec était, au XIXe siècle, une ville anglaise. On parle sans arrêt de l’anglicisation de Montréal mais on oublie toujours de mentionner la francisation de Québec. Du point de vue sociolinguistique, il y a sûrement des leçons à tirer d’une comparaison des deux situations.


Jusqu’à l’édition de 1886-1887 les annuaires Marcotte donnaient le nom anglais des professions. Le bilinguisme apparaît alors et notre Amable Proulx, déménagé rue Saint-Oliver, se voit appeler « fourreur furrier ». Mais pas pour longtemps. Dès l’édition de 1889-1890, il est décrit comme « chapelier et manchonnier, hatter and furrier ». Manchonnier ?



Le Trésor de la langue française (informatisé) ne connaît pas le nom manchonnier mais seulement le verbe manchonner (dans le domaine technique et en chirurgie).


Le mot manchonnier est inconnu du Trésor de la langue française au Québec. Ce qui m’étonne un peu car j’avais toujours cru que le TLFQ avait pour mission de faire l’inventaire de nos vieux mots. D’ailleurs, le TLFQ ne relève le mot fourreur qu’à partir de 1963, dans un texte d’Anne Hébert (où il n’a évidemment pas le sens de la langue populaire).


On trouve le mot manchonnier dans le site Les vieux métiers (www.vieuxmetiers.org) mais il désignait anciennement un type d’ouvrier dans une verrerie.


On le trouve aussi dans le Glossaire franco-canadien (1880) d’Oscar Dunn (« Ouvrier qui, dans les verreries, travaille aux manchons. Pas français dans le sens de Fourreur, marchand de fourrures ») et dans le Dictionnaire canadien-français (1894) de Sylva Clapin (« Ouvrier-fourreur, marchand de fourrures »)[2]. On voit que les lexicographes amateurs de l’époque avaient beaucoup de flair pour repérer les néologismes.



[1] Un fourreur dans la rue Couillard…
[2] D’après le site Dictionnaires du français du Canada Québec Acadie (www.dicocf.ca).

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