vendredi 21 juin 2013

Curiosités du Franqus-Usito



Quelques glanures du Franqus, « Dictionnaire de la langue française, le français vu du Québec », maintenant commercialisé sous le nom d’Usito.


Au mot sevrer, on a comme étymologie : latin populaire sēperāre (en fait une forme non attestée, qu’il aurait fallu faire précéder d’un astérisque, cf. Dictionnaire historique de la langue française Robert). Au mot séparer : latin separare, sans indication de la longueur des voyelles.

Au mot séparation, l’exemple illustrant le sens « rupture d’une alliance, d’un lien de dépendance » parle de l’indépendance de l’Écosse et de la Catalogne, pas de celle du Québec. Comment reprocher aux dictionnaires « conçus et élaborés en France » de n’accueillir qu’« avec parcimonie les spécificités linguistiques et culturelles d’ici ? »


Pour le nom briefing, « anglicisme critiqué », on propose comme équivalent breffage. Pour le verbe briefer, « anglicisme critiqué », on ne propose pas l’équivalent breffer (mais donner des consignes, informer, instruire, mettre au courant). On trouve dans les « Clés du français pratique » de la banque de données Termium ce commentaire sur le verbe briefer :

Considéré par certaines sources comme un anglicisme dont l’orthographe n’est pas francisée, ce verbe s’emploie dans le langage administratif, journalistique et publicitaire. Briefer compense cependant l’absence d’un verbe français signifiant « mettre au courant par un briefing, informer un groupe de personnes ». On peut aussi briefer quelqu’un, c’est-à-dire « le mettre au courant, l’informer » : Elle l’a briefé sur ce sujet. L’usage canadien préfère breffer.


Parallèlement, le Franqus donne débreffage pour l’« anglicisme critiqué » débriefing mais ne donne pas débreffer pour l’« anglicisme critiqué » débriefer. Pourtant débreffer est un « terme entériné par le Comité de linguistique de Radio-Canada et le Secrétariat d'État du Canada » selon la banque de données Termium.


Cossetarde ou costarde, « synonyme non standard de crème pâtissière » selon le Franqus. En français, custard peut être aussi un flan (déposé sur une abaisse et doré au four, c’est un flan pâtissier) ou, comme le dit excellemment le Grand Dictionnaire terminologique de la langue française de l’Office québécois de la langue française, une crème anglaise (équivalence que ne donne pas le Franqus s.v. crème) :

Crème aux œufs liquide comme une sauce, que les Anglais versent sur presque tous leurs desserts comme étant une crème française (French custard) mais dont les Français se servent beaucoup pour leurs entremets et pâtisseries en l'appelant crème anglaise.


jeudi 20 juin 2013

Farting in Quebec


Selon le Trésor de la langue française informatisé (TLFi) de Nancy, le fart est un « corps gras, ayant l'aspect de la cire, dont on enduit les semelles des skis, pour les empêcher d'adhérer à la neige et faciliter le glissement ». Pour le TLFi et la Banque de dépannage linguistique de l’Office québécois de la langue française, le mot peut se prononcer [faR] ou [faRt] ; le TLFi, à l’oreille plus fine, précise que lorsque l’on ne fait pas sonner le t final la voyelle a est allongée : [fa:R]. Mais le Franqus, Dictionnaire de la langue française, le français vu du Québec, maintenant commercialisé sous le nom d’Usito, ne donne que la prononciation [fɑR] (vous avez bien lu : fâr).


Selon le Franqus-Usito, le verbe farter signifie « enduire de fart » (ex. : farter ses skis). Aucune mention de l’UQ (usage québécois) cirer (ses skis), pourtant synonyme courant de farter. Il est vrai que le Franqus-Usito n’est peut-être pas autant obsédé par la langue courante que le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française qui ferait mieux de se limiter à son mandat terminologique. Mais la question se pose : le Franqus-Usito veut-il décrire les usages québécois ou plutôt les cacher ?


Au mot cirer, on trouve toutefois mention de l’UQ cirer ses skis, donné comme « anglicisme critiqué ».


Deux poids, deux mesures : mot standard international sans mention de son équivalent québécois, usage québécois avec mention de l’équivalent en français international.


Au fait, quand on a enlevé du Franqus-Usito tous les « emplois critiqués », qu’y reste-t-il du « français standard en usage au Québec » ? Voilà une question à laquelle il me faudra revenir.

mercredi 19 juin 2013

Faire de la lexicographie à la mitaine



Dans ce temps-là circule, on ne sait trop pourquoi ni comment, une légende voulant que quiconque entre dans une synagogue, ou dans une « mitaine », de l’anglais meeting, temple protestant, commet un péché mortel.
Benoît Lacroix, La foi de ma mère, la religion de mon père, Montréal, Bellarmin, 2002, p. 424

Il s'agit d'une chose sérieuse, d'un meeting religieux, d'une mitaine comme diraient nos bons habitants.
Le Nouvelliste, Québec, 4 oct. 1884

Les ancêtres ont peut-être francisé, oui mes agneaux, mais dans des conditions historiques qui les y autorisaient (mitaine, paparmane, robine); le fait est qu'ils ne le font plus depuis que ces conditions ont changé, c'est-à-dire depuis la prolétarisation massive de la population qui la met à la merci des advertising agencies, du business des autres et de la langue des maîtres comme langue quotidienne de travail.
Jean Marcel, Le joual de Troie, 1973, p. 59


Pour le mot mitaine, le Franqus-Usito ne donne que l’UQ (usage québécois) « gant… sans séparation pour les doigts, sauf pour le pouce ». Le sens de « temple protestant », pourtant ancien, ne figure pas dans ce Dictionnaire de la langue française, le français vu du Québec.


Rappelons pourtant une partie de l’argumentaire qui a appuyé les demandes de fonds publics pour subventionner cet ouvrage :

[…] les dictionnaires usuels disponibles actuellement au Québec sont conçus et élaborés en France. Ces ouvrages rendent compte de réalités sociales, historiques, géographiques, administratives et culturelles avant tout françaises et européennes et accueillent avec parcimonie les spécificités linguistiques et culturelles d'ici.


Suggestion de lecture : Jean Simard, « Canadiens français quoique protestants », Les Cahiers des Dix 54 (2000), pp. 171-188.

mardi 18 juin 2013

De l’arbitraire du signe à l’arbitraire du terminologue




La notion d’arbitraire du signe est l’une des bases de la linguistique moderne. Ferdinand de Saussure a expliqué qu’il n’y a aucun rapport naturel entre le signifié (le concept) et le signifiant (l’image acoustique) mais uniquement une convention. Le rapport entre signifié et signifiant n’est pas motivé, il est arbitraire. Il résulte d’une convention sociale.


Dans le domaine des assurances, le mot déductible pourrait s’employer à la place de franchise puisque, en vertu du principe de l’arbitraire du signe, l’emploi d’un signe acoustique plutôt que d’un autre n’est que le résultat d’une convention. Le Comité intergouvernemental des produits laitiers aurait pu choisir mélange à crème glacée comme équivalent français de ice cream mix plutôt que préparation pour crème glacée. Les botanistes qui ont collaboré avec l’Office québécois de la langue française à l’élaboration du Lexique des légumes auraient bien pu préférer tête-de-violon à crosse de fougère. Mais tous ces spécialistes, en collaboration avec des terminologues de l’Office, ont préféré fournir à l’industrie et aux inspecteurs des différents ministères une terminologie uniformisée sur la base du français standard (français international, français universel, comme on voudra). On pourra le regretter et critiquer ces décisions en faisant valoir qu’elles résultent d’un choix idéologique (la norme internationale au lieu de la norme endogéniste). Mais ce choix n’est pas qu’idéologique : il est aussi motivé par des impératifs commerciaux (mondialisation des échanges).


Il y a trois décennies, des spécialistes de divers domaine et des terminologues ont donc établi en concertation des listes terminologiques et ce sont ces termes, acceptés par convention, qui ont été utilisés dans la mise en œuvre de différentes politiques (inspection des aliments, répression des fraudes, protection du consommateur, etc.).


Et voilà que trois décennies plus tard un ou deux terminologues, sans aucune concertation avec l’industrie ou avec les ministères concernés, viennent modifier ces décisions. L’arbitraire du signe a fait place à l’arbitraire du terminologue.

lundi 17 juin 2013

Un principe de terminologie


Dans mon billet du 28 février 2012, j’ai proposé deux principes de sociolinguistique inspirés d’auteurs anglais de science-fiction : le principe de Huxley et le principe d’Orwell. Je propose aujourd’hui un principe applicable à la terminologie : le principe du mulet du maréchal de Saxe.


Dans la fiche être employé par, qui accepte comme synonyme de plein droit la locution être à l’emploi de, on lit la note suivante : « La locution être à l'emploi de est d'un usage ancien et généralisé au Québec, tant dans le registre spécialisé que dans le registre courant. Elle est notamment utilisée dans plusieurs textes officiels (lois, règlements, codes, etc.), etc. »


Il y a plein d’anglicismes « d’un usage ancien et généralisé au Québec » qui apparaissent depuis plus d’un siècle dans de nombreux « textes officiels (lois, règlements, codes, etc.) ». Pour le vérifier, on n’a qu’à feuilleter le chapitre 2, qui est un répertoire d’anglicismes, de l’ouvrage de Wallace Schwab, Les anglicismes dans le droit positif québécois (Conseil de la langue française, 1984). On y trouvera des anglicismes comme les suivants, tous attestés dans nos lois : aviseur (conseiller), altération (changement, réparation, etc.), bénéficiaires alternatifs (bénéficiaires subrogés), tout tel (any such company = toute telle compagnie, toute compagnie, une compagnie), année de calendrier (année civile), etc.


L'ancienneté ne saurait être en soi un indice de capacité. Le maréchal Bugeaud disait avec raison que le mulet du maréchal de Saxe avait fait la guerre pendant trente ans et était toujours resté un mulet.


Quand il existe un mot équivalent en français standard, un anglicisme peut bien être attesté en français québécois depuis un siècle ou deux, il reste toujours un anglicisme.

Sur cette question, voir aussi mon billet Le purisme pure-laine ou le Grand Bond en arrière.

vendredi 14 juin 2013

Faux emploi



Dans ma lettre au président-directeur général par intérim de l’Office québécois de la langue française, je citais quatre exemples de termes français qui avaient fait l’objet de consensus entre l’Office et des partenaires de l’industrie ou d’autres ministères, tant québécois que fédéraux, mais qu’un terminologue de l’Office, des décennies plus tard, avait modifiés unilatéralement.


Voici un nouvel exemple de changement unilatéral apporté par un terminologue à une décision prise par l’Office en concertation avec des partenaires externes.


Dans le Vocabulaire des conventions collectives d’Hélène Pétrin, à l’emploi de est considéré comme une tournure « à éviter ». La première édition de ce vocabulaire est parue en 1982. L’ouvrage a été réédité en 1991. Il a été préparé avec la collaboration d’un comité de référence composé de Robert Auclair, alors juge au Tribunal du travail, Charles D’Aoust, avocat et professeur à l’École des relations industrielles de l’Université de Montréal, Gilles Giguère, avocat et permanent du Syndicat canadien de la fonction publique, et Gilles Lavallée, avocat et consultant principal en relations du travail à la Société d’électrolyse et de chimie Alcan. Le vocabulaire a été préfacé par Louis LeBel, juge à la Cour d’appel, et Marcel Pepin, alors professeur à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal et ancien président de la Confédération des syndicats nationaux. Ce vocabulaire bénéficie donc de solides appuis.


Jusqu’en 2003, l’Office a considéré que l’expression à l’emploi de devait être évitée (pour plus de détails, cliquer ici). Puis brusquement, en 2003, sur la décision d’un terminologue, elle est acceptée.


Il est piquant de constater que l’expression être à l’emploi de est considérée comme une « forme suspecte » dans Les anglicismes dans le droit positif québécois de Wallace Schwab, publié par le Conseil de la langue française en 1984. Qui connaît les dessous de la fiche être à l’emploi de du GDT ne sera pas étonné si, prochainement, cet ouvrage ne devait plus être en ligne sur le site du Conseil.