jeudi 10 octobre 2013

L’art de se tirer dans le pied


L’orientation de l’usage représente la raison d’être de l’Office [québécois de la langue française]. La production et la diffusion du GDT [Grand Dictionnaire terminologique] constituent une intervention par un organisme de l’État sur la composante lexicale de la langue.
– Guide méthodologique du Grand Dictionnaire terminologique


Au cours de mes recherches récentes, je suis tombé sur cette note de la fiche chaussée désignée (fiche de 2013) du Grand Dictionnaire terminologique de l'Office québécois de la langue française :

« Le terme chaussée désignée est un calque de l'anglais dont l'usage est généralisé et légitimé en français du Québec depuis de nombreuses années. »


Deux remarques sur cette phrase.


La première porte sur le calque. N’en faisons pas tout un plat. Le calque est un vieux procédé d’enrichissement lexical présent (sans doute) dans toutes les langues. Quand on refuse un calque au nom de la qualité de la langue, on oublie que le mot qualité lui-même est issu d’un calque créé par Cicéron (voir mon billet « Réflexions sur l’emprunt et en particulier sur le calque »).


Plus intéressante est la notion que le calque en question (chaussée désignée) est « légitimé ». Ce point mérite d’être développé davantage que le premier.


La fiche du GDT se contente d’affirmer que le calque est légitimé sans que ce participe passé soit suivi d'un complément d'agent (un lapsus digiti m’a d’abord fait écrire claque, dont le sens argotique a au moins le mérite de montrer ce qu’est devenu le GDT depuis plus de dix ans). Or, en lexicographie (car on fait de moins en moins de terminologie et de plus en plus de lexicographie à l’Office), quand on utilise le participe passé légitimé, on le fait habituellement suivre des mots « par l’usage », ce qu’omet pudiquement (ou prudemment) de faire le rédacteur de la fiche. Légitimé par l’usage : on est ainsi rendu au bout de la logique lexicographique, tout à faire contraire au mandat même de l’Office (« L’orientation de l’usage représente la raison d’être de l’Office »). Le GDT n’a plus qu’à enregistrer les milliers de calques légitimés par l’usage parce qu’ils sont employés depuis longtemps dans des textes de lois, dans des directives administratives, dans les interventions des personnes légitimement élues à l’Assemble nationale, dans des circonstances « formelles » (formal) comme la lecture des informations à la radio et à la télévision, dans la presse, etc. Rien que dans le domaine du droit, ils sont quelques centaines à en juger par la liste dressée par Wallace Schwab. Mais est-ce le rôle du GDT ? À partir du moment où le GDT ne remplit plus son mandat d’orienter l’usage, il n’a plus sa raison d’être, c’est écrit noir sur blanc dans son guide méthodologique : « L’orientation de l’usage représente la raison d’être de l’Office ». Dans les autres pays, y compris les pays francophones, on laisse le soin d’enregistrer les usages aux dictionnaires produits par des éditeurs privés.


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