mardi 30 décembre 2014

Droits de l’homme : au Québec, on séquestre les jurés…




… à défaut d’avoir réussi l’an passé à séquestrer le Sacré Collège dans la Chapelle Sixteen :

Les cardinaux qui ont le droit de voter, soit ceux âgés de moins de 80 ans, sont séquestrés au Vatican et font un serment de confidentialité.
Le Devoir, 11 février 2013


Guy Bertrand fournit l’explication suivante :

Pour l’élection d’un pape, on isole les cardinaux, on ne les séquestre pas. Dans ce contexte, séquestrer est un anglicisme. En français, séquestrer est synonyme d’interner (autrefois, on séquestrait les malades mentaux). Le sens le plus courant de séquestrer est retenir quelqu’un contre son gré dans un lieu dont il ne peut s'échapper (séquestrer des otages).
– Guy Bertrand, Le français au micro


Toutefois, les cardinaux qui n'arrivaient pas à s'entendre pour élire un nouveau pape ont déjà été bel et bien séquestrés au moins à trois reprises. Citons un extrait de l’article « Conclave » de Wikipédia :

[…] l'élection mouvementée de Grégoire X, en 1271, […] avait duré près de 3 ans, et s'était tenue à Viterbe. Au bout de 2 ans et 9 mois, les autorités romaines avaient emmuré les cardinaux, ôté le toit de la salle où ils se réunissaient et menacé de les affamer pour les pousser à la résolution. Les cardinaux déléguèrent alors cette décision à une commission de six membres, aboutissant à une élection par « compromis ». En réalité, cette mesure avait déjà été prise auparavant, comme en 1241 par le sénateur Matteo Orsini et en 1254 par le podestà Bertolino Tavernieri, l'élection ayant lieu à cette époque dans la ville où était mort le pape. Pour éviter de nouvelles élections à rallonge, Grégoire X décide ainsi de garder le principe de l'enfermement. Il y ajoute de nouvelles restrictions : au bout de 5 jours de conclave, les cardinaux sont réduits au pain, au vin et à l'eau, ils doivent vivre en commun sans séparation dans la pièce — ce qui provoque un tollé parmi les cardinaux, mesures qui seront modifiées par la suite.



lundi 15 décembre 2014

À l’école de Bouvard et Pécuchet


Je viens de recevoir la dernière Infolettre Usito. Chaque livraison comporte son lot d’inepties. La dernière ne fait pas exception.


Je n’ai pas fait une lecture approfondie de ce placard informatisé. Voici deux éléments qui m’ont sauté aux yeux.


D’abord la phrase d’introduction : « Comme cadeau d’hôte ou dans le bas de Noël cette année, offrez Usito en cadeau! » Comme cadeau, offrez Usito en cadeau ! Pas fort. Quant à cadeau d’hôte, faut-il se surprendre que ce soit un calque de l’anglais host(ess) gift ?

A hostess gift is a gift which is given to the host or hostess of an event by guests. (Source : WiseGEEK)


Enfin, tout en bas de l’une des pages de l’Infolettre, on lit : « pas de mise à jour à déployer ». Déployer une mise à jour ! Et dire que ça veut nous apprendre à écrire.



mercredi 3 décembre 2014

Usito et sa fausse représentation du « français standard en usage au Québec »



Il y a déjà plusieurs semaines il y a eu, sur une page Facebook à laquelle je suis inscrit, une petite discussion suscitée par le commentaire suivant :

Lors de la période des questions de la séance extraordinaire de l’Assemblée nationale (2 juillet, à 13 h 30), le premier ministre a révélé qu’il comptait « faire des représentations » auprès du gouvernement fédéral. L’Opposition le questionnait sur la tragédie de Lac-Mégantic. Il faudrait que les conseillers du chef de gouvernement lui rappellent que « faire des représentations » est un calque de l’anglais. Tel est l’avis consigné dans la Banque de dépannage linguistique (OQLF), dans le Français au micro (Radio-Canada) et dans 1 500 pièges du français… On y conseille de remplacer l’expression par « intervenir », « faire des interventions », « faire des démarches », « exercer des pressions ». Pour sa part, Usito, le dictionnaire établi à l’Université de Sherbrooke, juge l’expression vieillie, sans plus. En somme, le premier ministre a tout avantage à l’abandonner immédiatement, en début de mandat car, tôt ou tard, il aura l'occasion de se reprendre.


J’ai immédiatement réagi par ce commentaire :

Sur quelle base Usito se permet-il d'affirmer que l'expression est vieillie ? Elle me semble au contraire bien vivante au Québec. Il faut se demander si Usito est capable d'assumer les usages québécois qu'il prétend décrire – non pas seulement décrire, mais en plus hiérarchiser !!!


Puis Lionel Meney (Dictionnaire québécois-français : pour mieux se comprendre entre francophones) a publié cette observation :

Usito se trompe totalement quand il dit que « faire des représentations » est vieilli. Dans la base de textes Eureka, on relève 5 500 cas d'emploi de l'expression dans la presse québécoise au cours des dernières années... Faire et adresser des représentations, dans ce sens, sont absents de la presse francophone européenne (site Eureka).


En consultant le Trésor de la langue française informatisé, on voit que « faire des représentations » est tout à fait standard, particulièrement dans le domaine diplomatique :

Adresser, faire des représentations à qqn. Aux représentations amicales qu'il me fit sur la gravité du risque et le peu de nécessité de m'y lancer, n'étant pas du métier, je répondis par un aveu succinct, mais expressif, de ma situation, de mon ennui, de mon impatience d'agir (SAINTE-BEUVE, Volupté, t. 1, 1834, p. 219). V. infra ex. de Chateaubriand.

[Dans la lang. diplom.] Observation comminatoire faite par un état ou un gouvernement à un autre. Le cabinet de Russie, à propos de l'arrestation du duc d'Enghien, adressa des représentations vigoureuses contre la violation du territoire de l'Empire (CHATEAUBR., Mém., t. 2, 1848, p. 176).


D’où peut donc bien venir l’affirmation d’Usito que l’expression « faire des représentations » est vieillie ? Comme disait la marquise, je vous le donne en dix, je vous le donne en cent, je vous le donne en mille : des dictionnaires de Paris !


On m'a en effet signalé que cette acception est bien marquée vx dans le Petit Robert et le Petit Larousse.


Encore un cas où Usito nous impose, sans le savoir, la norme européenne contre laquelle il n'arrête pas de se prononcer :

Dans les dictionnaires provenant de France, la mise en contexte est européenne. La littérature québécoise est absente, tout comme les mots spécifiquement utilisés chez nous […]. C'est acculturant » (La Croix, 5 juillet 2008).


Nos anticolonialistes sont donc des vecteurs inconscients du colonialisme linguistique de Paris... Misère !



mardi 25 novembre 2014

Du plan quinquennal au plan stratégique


L’Union soviétique avait lancé en 1928 son premier plan quinquennal. Les plans quinquennaux visaient une productivité économique maximale et annonçaient des lendemains qui chanteraient. Il suffisait de voir les queues devant les magasins pour se convaincre des résultats triomphaux obtenus dans la construction du socialisme. Comme on disait à l’époque, С каждым днем все радостнее жить, chaque jour chacun est un peu plus heureux.


Bien avant la chute du mur de Berlin, nos gestionnaires ont repris l’idée du plan quinquennal sous l’appellation de plan stratégique. Le simple fait que j’ai commencé mon billet en évoquant l’URSS montre assez bien ce que je pense de ces documents creux. Mais rien ne vaut des exemples.

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Le rapport qui devait être publié dans l’année financière 2013-2014 (donc avant le 1er avril 2014), ne l’a pas été : sur ce sujet, voir mon texte « Bilan de la situation linguistique : l’OQLF a-t-il respecté la loi ? »

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Dans le Plan stratégique 2013-2016 de l’OQLF, on ne trouve plus que ces indications sommaires sur le bilan de la situation linguistique que la loi l’oblige à produire à tous les cinq ans (article 160 de la Charte de la langue française) :



L’Office n’indique pas le «nombre et la nature des activités réalisées » ni le « nombre et la nature des indicateurs produits ». Dire que pendant la dernière campagne électorale ceux qui sont aux affaires aujourd’hui nous promettaient la transparence…


En 2010, l’Office avait mis en ligne son plan de travail pour évaluer l’évolution de la situation linguistique sur la période 2008-2013. Répétons-le : nous n’avons aucune information sur la programmation 2013-2018.

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Innovation intéressante dans le Plan stratégique 2013-2016 : plutôt que de proposer de traiter un plus grand nombre de plaintes dans un délai plus court, l’Office nous annonce qu’il a pour objectif de diminuer les plaintes, au motif que beaucoup ne sont pas fondées. Quelle logique est-ce donc ? Si une plainte n’est pas fondée, on clôt l’affaire et on passe à autre chose. Et ça fait un dossier de réglé de plus dans les statistiques.


Déjà que des associations comme l’Asulf et Impératif français font pour une bonne part le travail de l’Office en présentant annuellement des centaines de plaintes. Veut-on les démobiliser ? Pourtant, p. 15, le document affirme : « L’Office doit […] miser sur des relais pour prolonger et décupler son action, souvent dans des couches de la société qu’il ne saurait atteindre ».

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Je ne peux m’empêcher de relever cette curieuse formulation du Plan stratégique 2013-2016 de l’Office québécois de la langue française :

L’Office doit sensibiliser directement les citoyens et citoyennes tout comme les entreprises pour les associer au processus de francisation. Il peut aussi les atteindre par l’intermédiaire des groupes et des associations dans lesquels ils s’insèrent ou qui les encadrent, de manière à multiplier la force de son action. (p. 14)


Des citoyens et des entreprises qui s’insèrent dans des associations…

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Le Plan stratégique 2013-2016 a été déposé en septembre 2014, a-t-on pu lire sur le site de l’Office. On peut penser que les élections d’avril expliquent le retard à présenter le plan à l’Assemblée nationale. Mais il ne peut justifier qu’on ne l’ait pas mis à jour. Par exemple, p. 19, on indique au sujet de la fréquentation du site Web de la Commission de terminologie, « La cible de cet indicateur sera fixée d’ici au 31 mars 2014 ». Ou encore p. 21, au sujet du capital humain : « La cible de cet indicateur sera fixée d’ici au 31 mars 2014 ». Il me semble qu’on aurait pu communiquer aux élus en septembre la teneur des cibles définies six mois plus tôt.

mercredi 19 novembre 2014

Usito et la concordance des temps


Extrait de l’Infolettre Usito de novembre :


Selon que vous vouliez désigner un véhicule qui pousse la neige ou qui la souffle, et selon le registre de langue que vous choisissiez d’utiliser, vous avez donc à votre disposition différentes possibilités.

Et dire que ça a la prétention de nous apprendre à écrire le français !


mardi 18 novembre 2014

L’animisme d’Usito


Animisme : tendance qu’ont les enfants à considérer les choses comme animées et à leur prêter des intentions.
– Larousse en ligne

Dans l’Infolettre Usito de novembre, il y a un article intitulé « La neige est à nos portes… » où on peut lire cette perle : « Dans toute la francophonie, la déneigeuse est le véhicule qui procède à l’enlèvement de la neige. » Diane Lamonde, bête noire des endogénistes (Le maquignon et son joual, Anatomie d’un joual de parade), m’envoie ce commentaire : « elle fait ça, toute seule, comme une grande ! »



« Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? »

lundi 3 novembre 2014

Formation des maîtres, dites-vous ? /2


Année après année, les futurs professeurs formés sur les bancs de nos universités échouent par dizaines au test de français (TECFEE) obligatoire pour la poursuite de leurs études au baccalauréat en enseignement. Au printemps dernier, un rapport de recherche présenté au congrès de l’ACFAS soulignait que de nombreux jeunes enseignants éprouvent des difficultés telles que certains affirment devoir s’appuyer sur des correcteurs informatiques lorsqu’ils communiquent avec les parents de leurs élèves.
— Pierre-Luc Brisson, « La fin de l’instruction », Le Devoir, 3 novembre 2014



Lire le premier billet sur ce thème en cliquant ici.

jeudi 30 octobre 2014

Bris d’eau


 
Le Soleil, 29 octobre 2014

Le 28 octobre, rupture d’une conduite d’eau principale à Québec, présentée dans plusieurs médias comme un « bris d’aqueduc ». Le lendemain, sur Radio-Canada Première, j’entends le chef d'antenne Jacques Beauchamp parler d'un « bris d'eau à Québec ». Évidemment, il fallait s'y attendre, « bris d'eau » est une traduction littérale de l'anglais. Voici ce que j'ai trouvé sur Internet :

Water breaks are common on older infrastructure due to ground shifting or deterioration of the pipe material and fittings. (site de la ville de Lloyminster située à cheval sur la frontière de l’Alberta et de la Saskatchewan)
Boil Water After a Water Break (site de la ville d’Athens en Ohio)
Sunset Boulevard reopens after huge UCLA water break (titre du Washington Post, 4 août 2014)


mercredi 29 octobre 2014

Lettre d’une ex-terminologue de l’OQLF


Le Devoir publie aujourd’hui une lettre de Monique Héroux sur la qualité de la langue. Mme Héroux est l’une des signataires du manifeste « Au-delà des mots, les termes » d’un groupe d’anciens terminologues de l’Office québécois de la langue française (OQLF).


lundi 27 octobre 2014

Le fond du panier


Libération, 27 octobre 2014


L’entreprise Caddie qui fabrique des chariots de supermarché fait parler d’elle ces jours-ci. Occasion pour moi de dénoncer une nouvelle fois la fiche « panier d’épicerie » que le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française s’acharne à donner comme équivalent de l’anglais shopping cart / trolley. Occasion aussi pour moi de rappeler les contradictions de l’OQLF.


Car on ne trouve que chariot d’épicerie dans le Vocabulaire illustré des chariots, des roues et des roulettes de manutention publié par le même Office « en collaboration avec les milieux de l’ingénierie, de la terminologie et de la traduction ainsi que les Presses internationales Polytechnique ». On peut même y lire la remarque suivante qui met en garde contre l’utilisation de panier d’épicerie à la place de chariot d’épicerie : « le terme panier d’épicerie, qui est parfois utilisé pour désigner le chariot d’épicerie, correspond plutôt à un type de panier qui sert à l’achat de marchandises en petite quantité ».


De plus, le Lexique panlatin des chariots de manutention, publié lui aussi par l’Office, n’a pas panier d’épicerie mais seulement chariot d’épicerie. Ce lexique a été publié en collaboration avec l’École polytechnique de Montréal et avec des universités de la Belgique, de la Catalogne, de l’Espagne, de l’Italie, du Mexique et de la Roumanie.


Lire aussi le billet « L’orientation de l’usage et la désorientation des usagers : nouvelle illustration »

 
Le Monde, 27 octobre 2014

Bis repetita placent

GDT, fiche « panier d'épicerie »


Le GDT croit-il donner plus de poids à sa remarque (par ailleurs inepte) en la répétant ?


Remarque inepte parce qu’il est normal de réduire un terme complexe dans la vie courante. Cela va tellement de soi que les dictionnaires ne l’indiquent pas (sauf le GDT, bien sûr, mais de manière peu systématique).



samedi 25 octobre 2014

À la solde des Anglais


Quand j’ai lu, dans Edge of Eternity de Ken Follett, le passage suivant :

Filipov said: “Our Polish comrades require military assistance urgently, to resist the attacks of traitors in the employ of the capitalist imperialist powers.” (Ch. 54, p. 940)

je me suis demandé comment « in the employ of » serait traduit en français. Trouverait-on le calque « à l’emploi de » ? Sachant le français, les traducteurs ont bien évidemment évité le piège de la traduction littérale :

Filipov déclara : « Nos camarades ont besoin d’une aide militaire de toute urgence pour résister aux attaques des traitres à la solde des puissances impérialistes capitalistes. » (p. 1038)


Contre vents et marées, contre même l’analyse détaillée produite par le Bureau de la traduction à Ottawa, le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française continue d’approuver le calque « être à l’emploi de ». Je renvoie aux textes que j’ai publiés sur le sujet :




jeudi 23 octobre 2014

L’Académie française et la féminisation : nuances



La tradition des timbres de Noël au Canada remontre à 1898. Sur la photo, le maire suppléant Michelle Morin-Doyle, le cardinal Gérald C. Lacroix, Stephan Cleary, de Postes Canada et le curé  de Notre-Dame de Québec Mgr Denis Bélanger ont dévoilé le timbre de Noël mercredi matin.
Valérie Gaudreau, « Un timbre pour le 350e de Notre-Dame de Québec », Le Soleil, 22 octobre 2014


Dans deux billets récents, j’ai évoqué la position de l’Académie française en matière de féminisation (« La féminisation au Palais Bourbon » et « La maire ou la mairesse ? »).


À la suite de l’incident récent (voir « La féminisation au Palais Bourbon ») « opposant à l’Assemblée nationale un député à la ‘ présidente de séance ’ », l’Académie a tenu à rappeler les règles sur la féminisation des noms de métiers, fonctions, grades ou titres. Et elle s’appuie sur le rapport produit en 1998 par la Commission générale de terminologie et de néologie qui
[…] « estime que les textes règlementaires doivent respecter strictement la règle de neutralité des fonctions. L’usage générique du masculin est une règle simple à laquelle il ne doit pas être dérogé » dans les décrets, les instructions, les arrêtés et les avis de concours. Les fonctions n’appartiennent pas en effet à l’intéressé : elles définissent une charge dont il s’acquitte, un rôle qu’il assume, une mission qu’il accomplit. Ainsi ce n’est pas en effet Madame X qui signe une circulaire, mais le ministre, qui se trouve être pour un temps une personne de sexe féminin ; mais la circulaire restera en vigueur alors que Madame X ne sera plus titulaire de ce portefeuille ministériel. La dénomination de la fonction s’entend donc comme un neutre et, logiquement, ne se conforme pas au sexe de l’individu qui l’incarne à un moment donné. Il en va de même pour les grades de la fonction publique, distincts de leur détenteur et définis dans un statut, et ceux qui sont des désignations honorifiques exprimant une distinction de rang ou une dignité. Comme le soutient la Commission générale, « pour que la continuité des fonctions à laquelle renvoient ces appellations soit assurée par-delà la singularité des personnes, il ne faut pas que la terminologie signale l’individu qui occupe ces fonctions. La neutralité doit souligner l’identité du rôle et du titre indépendamment du sexe de son titulaire. »


Dans le texte cité en exergue de ce billet, la journaliste du Soleil s’est conformée à cette règle en utilisant le masculin maire suppléant plutôt que mairesse suppléante.


Toutefois, l’Académie admet que l’on peut utiliser les formes féminines dans la vie courante :

Cependant, la Commission générale de terminologie et de néologie considère – et l’Académie française a fait siennes ces conclusions – que cette indifférence juridique et politique au sexe des individus « peut s’incliner, toutefois, devant le désir légitime des individus de mettre en accord, pour les communications qui leur sont personnellement destinées, leur appellation avec leur identité propre. » Elle estime que, « s’agissant des appellations utilisées dans la vie courante (entretiens, correspondances, relations personnelles) concernant les fonctions et les grades, rien ne s’oppose, à la demande expresse des individus, à ce qu’elles soient mises en accord avec le sexe de ceux qui les portent et soient féminisées ou maintenues au masculin générique selon le cas ». La Commission générale conclut justement que « cette souplesse de l’appellation est sans incidence sur le statut du sujet juridique et devrait permettre de concilier l’aspiration à la reconnaissance de la différence avec l’impersonnalité exigée par l’égalité juridique ».


Dans l’incident du Palais Bourbon, la présidente de l’Assemblée avait expressément demandé qu’on utilise la forme féminine de sa fonction. Mais ce n’était pas une situation de la vie courante… Le distinguo est subtil. L’Académie devrait avoir mieux à faire que de peser des œufs de mouche dans des toiles d’araignée (pour reprendre le reproche que Voltaire faisait à Marivaux).


Je note en terminant que l’Académie utilise l’expression « dans la vie courante ». Le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française n’arrête pas de nous bassiner, lui, avec sa « langue courante » (voir « La courante »). Le GDT ne fait que montrer qu’il confond registre de discours (niveau de langue) et situation d’énonciation.


mardi 21 octobre 2014

La France ! Ton français fout le camp !



On connaît l'apostrophe de la Du Barry à Louis XV qu'elle appelait, dans l’intimité, « la France ! » Un jour où le café que se préparait le roi était en train de bouillir, elle lui aurait crié : « La France ! Ton café fout le camp ! »
– Robert Chaudenson, blog Nouvelles persaneries, 23 novembre 2010

Voici ce que je trouve dans les notes expliquant les avantages de la dernière mise à jour du logiciel Adobe Reader :

OPTIMISATION
Remplissage de formulaires
Dites adieu aux formulaires papier. Saisissez vos réponses directement dans le formulaire PDF ou cliquez dans les champs pour les renseigner.


Cet emploi du verbe renseigner est relativement récent. Je l’ai entendu pour la première fois il y a une dizaine d’années dans la bouche d’informaticiens français. J’avais alors demandé qu’on utilise plutôt le verbe remplir (« champs à remplir obligatoirement ») dans le formulaire que nous préparions.


Comme le fait remarquer Robert Chaudenson dans le billet de son blog que j’ai cité en exergue (et auquel j’ai emprunté le titre de mon propre billet), le verbe renseigner ne peut avoir qu’un complément animé. Par conséquent, seule une personne peut être renseignée. Du moins en français standard.


Car Daniel Blampain signale qu’en Belgique renseigner quelque chose signifie « indiquer, signaler » (Le français en Belgique : une communauté, une langue, 1997, p. 205). Cet usage était déjà relevé et critiqué par Louis Quiévreux : « Le Belge a pour habitude de RENSEIGNER quelque chose à quelqu'un. Il renseigne une rue à un passant, or, on renseigne quelqu'un sur quelque chose » (Flandricismes, wallonismes et expressions impropres, édition revue et mise à jour, Moorthamers Frères, Anvers-Bruxelles, 1928).


À ma connaissance, le nouveau sens donné au verbe renseigner (un champ, une case) dans le domaine de l’informatique n’a pas encore été enregistré dans les dictionnaires.


mercredi 15 octobre 2014

L’évolution d’un tabou linguistique


Dans le billet précédent, je faisais part de mon étonnement face à la décision des traducteurs de Edge of Eternity (Aux portes de l’éternité) de Kenn Follet de rendre en français Negro par Noir. Mais un passage du roman permet de comprendre les raisons de ce choix. Le voici, en version originale et en traduction :

The words had also changed. When George was young, black was a vulgar term, colored was more dainty, and Negro was the polite word, used by the liberal New York Times, always with a capital letter, like Jew. Now Negro was considered condescending and colored evasive, and everyone talked about black people, the black community, black pride, and even black power. Black is beautiful, they said. George was not sure how much difference the words made. (ch. 41, p. 701)

Le vocabulaire avait changé, aussi. Quand George était jeune, « Nègre » était un gros mot, « de couleur » était une expression plus choisie, et le libéral New York Times trouvait de bon ton d’employer le terme de « Noir » en l’affublant d’une majuscule, comme Juif. À présent, « Noir » lui-même était considéré comme presque injurieux et « de couleur » comme une formule évasive. On ne disait plus que « black » : la communauté black, la fierté black, et même le Black Power. Black is beautiful, affirmait-on. George n’était pas sûr que les mots changent quoi que ce soit dans le fond. (p. 781-782)


D’où les équivalences suivantes :

Black = Nègre
Colored = de couleur
Negro = Noir
Black = …black


Follett ne mentionne toutefois pas nigger qui, lui, est clairement péjoratif. Le Webster dit : « it now ranks as perhaps the most offensive and inflammatory racial slur in English ». En comparaison, le même dictionnaire dit de Negro qu’il est « sometimes offensive ». En tout état de cause, ce dernier mot n’était guère péjoratif jusque dans les années 1960 puisque Martin Luther King l’utilise dans son discours célèbre I Have a Dream :

But 100 years later, we must face the tragic fact that the Negro is still not free. One hundred years later, the life of the Negro is still sadly crippled by the manacles of segregation and the chains of discrimination. One hundred years later, the Negro lives on a lonely island of poverty in the midst of a vast ocean of material prosperity. One hundred years later, the Negro is still languishing in the corners of American society and finds himself an exile in his own land.


Dans ce champ sémantique on trouve aussi les mots Black African, Black American, Afro-American, African American.

Quand on considère l’ensemble du champ sémantique, on comprend pourquoi les traducteurs ont préféré traduire Negro par Noir. Même si, jusque dans les années 1960 (époque où commence le roman de Follett), le mot Nègre n’était pas plus péjoratif en français que Negro en anglais. À preuve, l’art nègre (maintenant appelé art africain traditionnel), Joséphine Baker et sa Revue nègre (1925), le concept de négritude d’Aimé Césaire repris par Léopold Senghor, l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française de Jean-Paul Sartre (1948), etc.




mardi 14 octobre 2014

Political correctness à la française


Voici deux extraits du dernier livre de Ken Follett, Edge of Eternity, en français Aux portes de l’éternité. Ils illustrent les conséquences de l’orthodoxie linguistique actuelle : même si en anglais l’auteur a utilisé le mot Negro, conforme à l’usage de l’époque du roman, les traducteurs se sont refusés à utiliser le mot nègre.

*   *   *
Chapitre 11 :
“The Pentagon hates segregation,” he said.
George raised his eyebrows. “Really ? I thought the army was traditionally reluctant to trust Negroes with guns.”
Mawhinney lifted a placatory hand. “I know what you mean. But, one, that attitude was always overtaken by necessity: Negroes have fought in every conflict since the War of Independence. And two, it’s history. The Pentagon today needs men of color in the military. [...]” (p. 125)


« Le Pentagone est profondément hostile à la ségrégation », déclara-t-il.
George haussa les sourcils. « Ah bon? Je croyais que par tradition, l’armée hésitait à confier des fusils aux Noirs. »
Mawhinney leva une main conciliante. « Je comprends ce que vous voulez dire. Mais primo, la nécessité a toujours eu raison de ce principe : des Noirs se sont battus dans tous nos conflits, depuis la guerre d’Indépendance. Secundo, cette attitude relève du passé. Aujourd’hui, le Pentagone a besoin d’hommes de couleur dans l’armée. […] » (p. 155)

*   *   *

Chapitre 45:
“But you’re against the war, and you favor civil rights for Negroes, albeit not too soon; [...].” (p. 809)


Pourtant vous êtes contre la guerre, favorable aux droits civiques des Noirs, même si vous préférez que les choses ne bougent pas trop vite. (p. 900)


samedi 11 octobre 2014

La féminisation au Palais Bourbon


En juin dernier, l’Académie française a publié un rappel sur le féminin des noms de fonction : « […] il convient de distinguer le sexe d’une personne qui exerce une fonction du nom qui désigne cette fonction » (voir mon billet La maire ou la mairesse du 4 août). Un député de l’Assemblée nationale a eu l’idée saugrenue de suivre la directive de l’Académie, ce qui a donné lieu à l’incident suivant :


mardi 7 octobre 2014

Formation des maîtres, dites-vous ?


[…] la formation des maîtres mérite d’être revue en profondeur, car elle est trop axée sur la pédagogie et pas assez sur les savoirs disciplinaires. C’est particulièrement vrai dans le cas du français. L’université doit s’assurer que tous les enseignants maîtrisent parfaitement leur langue, assez du moins pour devenir des modèles en lecture et en écriture, et que l’ensemble des futurs profs puissent réfléchir tout au long de leur carrière à la dimension culturelle des programmes, à leur portée sociale et historique.
– Jean Danis et Michel Stringer, « Le contenu des programmes, un défi pour les syndicats », Le Devoir, 7 octobre 2014, p. A7.


Toutefois, en dépit d’un effort manifeste d’adapter leur langue parlée aux exigences de la situation de prise de parole, il faut reconnaître qu’une majorité de futurs enseignants ont une connaissance et une capacité à utiliser la langue standard trop limitées pour qu’ils puissent, en classe, assumer pleinement leur rôle de modèle linguistique par rapport à cette dimension de la maîtrise de la langue parlée.
– Luc Ostiguy, « La maîtrise de la norme du français parlé dans l’enseignement et les médias : constats et perspectives », Le Français au Québec, les nouveaux défis, Conseil supérieur de la langue française et Fides, 2005, p. 477.


samedi 27 septembre 2014

(R)évolution lexicale


Extrait d’un article paru récemment dans Libération :

Rien d’abord de très spectaculaire, en cette évolution (le terme vaut pour le meilleur et pour le pire) que, comme toujours, le vocabulaire allait révéler. Mais lorsque nous ne nous découvrîmes plus que quelques-un-e-s à nous offusquer de la banalisation d’expressions telles que «être en capacité», d’anglicismes du tonneau de «performer», de «challenger», de «cliver» ou d’«impacter» (comme verbes !), de tics de langage sollicitant «l’ADN» de tout et de n’importe quoi, au point de rendre nécessaire un « changement de logiciel », tout ce charabia qu’une novlangue d’inspiration affairiste inspirait, il était trop tard.
Trop tard pour se rendre compte que, depuis des années et sans que nulle «bible» ne l’imposât, il y avait bien plus qu’une mode dans le remplacement somme toute paisible, dans l’espace public, de «patrons» par «chefs d’entreprise», d’«usagers» (des services publics démantelés) par «clients», de «cotisations» par «charges», de «prix du travail» par «coût du travail». 
– Pierre Marcelle, « Révo’ cul’ à ‘Libération’ (épisode 3) », Libération, 18 septembre 2014.