lundi 7 avril 2014

Lettre persane


Le chanoine T***, qui m’a permis de recopier un texte apparemment de Pascal, m’a aussi fait lire une ébauche que Montesquieu n’a pas retenue dans les Lettres persanes et qui m’a tout l’air d’être, elle aussi, apocryphe.


Rica à Usbek

Hier au matin je fus dans un couvent de dervis. Un d'entre eux, vénérable par ses cheveux blancs, m'accueillit fort honnêtement ; il me fit voir toute la maison ; nous entrâmes dans le jardin, et nous nous mîmes à discourir. « Mon père, lui dis-je, quel emploi avez-vous dans la communauté ? – Monsieur, me répondit-il avec un air très content de ma question, je suis endogénologue. – Endogénologue ? repris-je : depuis que je suis en Nouvelle-France, je n'ai pas ouï parler de cette charge. – Quoi ! vous ne savez pas ce que c'est qu'un endogénologue ? Eh bien ! Écoutez : je vais vous en donner une idée qui ne vous laissera rien à désirer. Il y a deux sortes de mots : purs et impurs, c’est-à-dire cismarins et ultramarins. Or tout notre art consiste à bien distinguer ces deux sortes de mots. »


Je laissai là le dervis qui tint pourtant à m’inviter à le retrouver dans les huit jours pour me faire assister à une séance du Cabinet d’Endogénisation, assemblée de sages qui fait office de tribunal des mots.


Il me semble que les choses ne sont en elles-mêmes ni pures ni impures : je ne puis concevoir aucune qualité inhérente au sujet qui puisse les rendre telles. Le témoignage des sens ne peut servir ici de règle, à moins qu'on ne dise que chacun peut, à sa fantaisie, décider ce point, et distinguer, pour ce qui le concerne, les choses pures d'avec celles qui ne le sont pas.

De Québec, le premier de la lune de Rebiab 1714



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