mardi 3 juin 2014

Réforme de l’accord du participe passé


Le Conseil international de la langue française et l’Association EROFA « Études pour une rationalisation de l’orthographe française aujourd’hui » ont élaboré un projet de réforme du participe passé. Le texte paraît dans la dernière livraison du Français moderne (LXXXII/2, p. 310-312). Je le reproduis ici :


L’orthographe du participe passé est, depuis des générations, le pont aux ânes de la grammaire scolaire. Les professeurs ont beau y consacrer d’année en année un nombre important d’heures d’apprentissage, les résultats restent décevants.
Pourquoi ?
D’abord en raison de la complexité des procédures.
Ensuite parce que la plupart des finales écrites ne s’entendent pas et que, d’ailleurs, même en cas de terminaison féminine ou plurielle audible, la pratique orale tend à ne plus marquer les accords ou à effectuer des accords contrevenant à la norme.
Face à cette situation, plusieurs linguistes ont décidé qu’il était de leur devoir d’intervenir. Leur conviction est qu’une nouvelle logique grammaticale s’installe. Si les Autorités décidaient de la permettre officiellement, non seulement la langue française n’y perdrait rien, mais le temps économisé à l’école pourrait être mis au service d’objectifs plus utiles.
Ci-joint le texte de la motion que le Conseil international de la langue française et l’Association EROFA « Etudes pour une rationalisation de l’orthographe française aujourd’hui » ont élaborée.
Nous souhaitons vivement que vous vouliez bien nous faire part de vos observations et que vous souteniez notre démarche en l’appuyant, y compris publiquement.

Pour un assouplissement des règles d’accord du participe passé
Les difficultés de l’accord du participe passé (en abrégé PP) sont notoires. Des enquêtes ont montré que les professeurs de français y consacrent environ 80 heures de théorie et d’exercices au cours d’une scolarité ordinaire. Ce ne serait qu’un moindre mal si le succès couronnait l’entreprise. On en est loin. Face aux manquements qui abondent dans les copies d’élèves et dans la bouche ou sous la plume de leurs ainés, des voix réclament d’un peu partout une remédiation.
Le CILF ‘Conseil international de la langue française’ et le groupe EROFA ‘Études pour une rationalisation de l’orthographe française’ soumettent à cet effet aux Autorités gouvernementales et aux Instances de la Francophonie trois propositions *.
1° Les PP employés sans auxiliaire et les PP conjugués avec l’auxiliaire être s’accordent avec le mot ou la suite de mots que l’on trouve à l’aide de la question « Qui ou qu’est-ce qui est (n’est pas) PP ? ».
2° Les PP des verbes pronominaux pourront s’accorder avec le mot ou la suite de mots que l’on trouve à l’aide de la question « Qui ou qu’est-ce qui s’est (ne s’est pas) PP ? » augmentée des éventuels compléments du verbe.
3° Les PP conjugués avec l’auxiliaire avoir pourront s’écrire dans tous les cas au masculin singulier.
La première proposition n’entraine aucune modification concrète (voir ci-dessous 1). La deuxième et la troisième proposition rejoignent des pratiques de plus en plus répandues. Précisons qu’il ne s’agit pas de révoquer la norme officielle, représentative d’un registre de langue soutenu, mais, comme l’usage la transgresse fréquemment, d’ouvrir aux utilisateurs un espace de liberté, qui a d’ailleurs sa logique (voir ci-dessous 2 et 3).

Commentaires linguistiques
1° Le premier point de la proposition 1 ne remet pas en cause le figement optionnel des PP à valeur de préposition, d’adverbe ou de phrase condensée : Passé la poterne… = « après ». Vous trouverez ci-joint les documents = « ci-contre ». Fini les vacances ! = « c’est fini » ou « adieu », etc. Le second point semblerait contredit par des exemples tels Il est tombé des hallebardes (question « qu’est-ce qui est tombé ? », réponse « des hallebardes ») ; or, le propre de la tournure impersonnelle — indépendamment de l’auxiliaire être ou avoir — est justement de mettre en lumière l’évènement qu’exprime le verbe plutôt que les participants à l’évènement.
2° La proposition 2 étend à l’ensemble des verbes pronominaux l’accord des PP à pronom morphologiquement ou sémantiquement indispensable (du type Marie s’est absentée ou du type Marie s’est aperçue d’un détail = « a pris conscience). Beaucoup d’auteurs classiques en usaient déjà ainsi.
3° La proposition 3 s’inscrit dans le droit fil de la perte d’autonomie des PP au sein de formes verbales dont la cohésion ne cesse d’augmenter depuis le Moyen Âge. Quand le poète de Cour Clément Marot préconisait en 1538 l’accord du PP avec le substantif « qui va devant », il légitimait indirectement l’absence d’accord avec le substantif postérieur et enclenchait le processus d’invariabilité généralisée.

Participe passé des verbes pronominaux

Norme actuelle
Propositions
Elle s’est absentée
Elle s’est absentée
Les chemises se sont bien vendues
Les chemises se sont bien vendues
Elle s’est blessée
Elle s’est blessée
Elle s’est regardée dans le miroir
Elle s’est regardée dans le miroir
Marie et Julie se sont embrassées
Marie et Julie se sont embrassées
Ils se sont menti
Ils se sont mentis
Elle s’est lavé les cheveux
Elle s’est lavée les cheveux
Les cheveux qu’elle s’est lavés
Les cheveux qu’elle s’est lavée
Elles se sont ri de son air jovial
Elles se sont ries de son air jovial
Ils se sont abstenus de répondre
Ils se sont abstenus de répondre
Elles se sont regardées et elles se sont plu
Elles se sont regardées et elles se sont plues
Ces spectacles qui se sont succédé
Ces spectacles qui se sont succédés
Elles se sont faites les arbitres de la discussion
Elles se sont faites les arbitres de la discussion
Le pavillon qu’elles se sont fait construire…
Le pavillon qu’elles se sont faites construire…
 
Elles s’étaient crues responsables
Elles s’étaient crues responsables
Elle s’est dit que…
Elle s’est dite que…
 
 
 
Participe passé des verbes conjugués avec l’auxiliaire avoir
 
Norme actuelle
Propositions
Ils ont mangé la pomme
Ils ont mangé la pomme
La pomme qu’ils ont mangée
La pomme qu’ils ont mangé
Elle a lu tous les contes qu’elle a voulu
Elle a lu tous les contes qu’elle a voulu
Les trente euros que ce billet a couté
Les trente euros que ce billet a couté
Les ennuis que ces paroles m’ont valus
Les ennuis que ces paroles m’ont valu
L’histoire qu’ils ont trouvée amusante
L’histoire qu’ils ont trouvé amusante
Les airs que j’ai entendu jouer
Les airs que j’ai entendu jouer
Les musiciens que j’ai entendus jouer
Les musiciens que j’ai entendu jouer
Les artistes qu’ils ont fait venir
Les artistes qu’ils ont fait venir
Les journaux qu’on m’a dit être bien informés
Les journaux qu’on m’a dit être bien informés
Les travaux qu’ils ont eu à faire
Les travaux qu’ils ont eu à faire
 
*   *   *
 

Vous pouvez commenter le projet de réforme sur ce blog ou vous pouvez transmettre vos commentaires sur le blog du CILF.

1 commentaire:

  1. "Le pavillon qu’elles se sont fait construire…"
    doit être conservé : C'est la transformation de "Elles se sont fait construire un pavillon."
    "Elle s'est dit que" doit être conservé. C'est la construction "se dire que".
    Sinon, on se rééloigne de la langue réelle pour pondre une règle d'école : c'est répéter l'erreur...

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