jeudi 23 octobre 2014

L’Académie française et la féminisation : nuances



La tradition des timbres de Noël au Canada remontre à 1898. Sur la photo, le maire suppléant Michelle Morin-Doyle, le cardinal Gérald C. Lacroix, Stephan Cleary, de Postes Canada et le curé  de Notre-Dame de Québec Mgr Denis Bélanger ont dévoilé le timbre de Noël mercredi matin.
Valérie Gaudreau, « Un timbre pour le 350e de Notre-Dame de Québec », Le Soleil, 22 octobre 2014


Dans deux billets récents, j’ai évoqué la position de l’Académie française en matière de féminisation (« La féminisation au Palais Bourbon » et « La maire ou la mairesse ? »).


À la suite de l’incident récent (voir « La féminisation au Palais Bourbon ») « opposant à l’Assemblée nationale un député à la ‘ présidente de séance ’ », l’Académie a tenu à rappeler les règles sur la féminisation des noms de métiers, fonctions, grades ou titres. Et elle s’appuie sur le rapport produit en 1998 par la Commission générale de terminologie et de néologie qui
[…] « estime que les textes règlementaires doivent respecter strictement la règle de neutralité des fonctions. L’usage générique du masculin est une règle simple à laquelle il ne doit pas être dérogé » dans les décrets, les instructions, les arrêtés et les avis de concours. Les fonctions n’appartiennent pas en effet à l’intéressé : elles définissent une charge dont il s’acquitte, un rôle qu’il assume, une mission qu’il accomplit. Ainsi ce n’est pas en effet Madame X qui signe une circulaire, mais le ministre, qui se trouve être pour un temps une personne de sexe féminin ; mais la circulaire restera en vigueur alors que Madame X ne sera plus titulaire de ce portefeuille ministériel. La dénomination de la fonction s’entend donc comme un neutre et, logiquement, ne se conforme pas au sexe de l’individu qui l’incarne à un moment donné. Il en va de même pour les grades de la fonction publique, distincts de leur détenteur et définis dans un statut, et ceux qui sont des désignations honorifiques exprimant une distinction de rang ou une dignité. Comme le soutient la Commission générale, « pour que la continuité des fonctions à laquelle renvoient ces appellations soit assurée par-delà la singularité des personnes, il ne faut pas que la terminologie signale l’individu qui occupe ces fonctions. La neutralité doit souligner l’identité du rôle et du titre indépendamment du sexe de son titulaire. »


Dans le texte cité en exergue de ce billet, la journaliste du Soleil s’est conformée à cette règle en utilisant le masculin maire suppléant plutôt que mairesse suppléante.


Toutefois, l’Académie admet que l’on peut utiliser les formes féminines dans la vie courante :

Cependant, la Commission générale de terminologie et de néologie considère – et l’Académie française a fait siennes ces conclusions – que cette indifférence juridique et politique au sexe des individus « peut s’incliner, toutefois, devant le désir légitime des individus de mettre en accord, pour les communications qui leur sont personnellement destinées, leur appellation avec leur identité propre. » Elle estime que, « s’agissant des appellations utilisées dans la vie courante (entretiens, correspondances, relations personnelles) concernant les fonctions et les grades, rien ne s’oppose, à la demande expresse des individus, à ce qu’elles soient mises en accord avec le sexe de ceux qui les portent et soient féminisées ou maintenues au masculin générique selon le cas ». La Commission générale conclut justement que « cette souplesse de l’appellation est sans incidence sur le statut du sujet juridique et devrait permettre de concilier l’aspiration à la reconnaissance de la différence avec l’impersonnalité exigée par l’égalité juridique ».


Dans l’incident du Palais Bourbon, la présidente de l’Assemblée avait expressément demandé qu’on utilise la forme féminine de sa fonction. Mais ce n’était pas une situation de la vie courante… Le distinguo est subtil. L’Académie devrait avoir mieux à faire que de peser des œufs de mouche dans des toiles d’araignée (pour reprendre le reproche que Voltaire faisait à Marivaux).


Je note en terminant que l’Académie utilise l’expression « dans la vie courante ». Le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française n’arrête pas de nous bassiner, lui, avec sa « langue courante » (voir « La courante »). Le GDT ne fait que montrer qu’il confond registre de discours (niveau de langue) et situation d’énonciation.


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