lundi 18 août 2014

Avoir su !


Le titreur du Devoir nous offre cette formulation que l’on voit rarement à l’écrit :
 
Le Devoir, 16 août 2014

L’expression de la condition par l’infinitif présent (seulement dans le cas du verbe savoir) ou passé (avoir + participe passé), assez courante dans la langue parlée au Québec, se rencontre rarement à l’écrit : savoir qu’ils viendraient, je leur préparerais une collation ; avoir pu, je serais allé la voir à l’hôpital.


Je ne connais guère d’études sur le sujet1. On peut se demander si l’usage québécois ne dérive pas de l’infinitif absolu apparu en français au xve siècle et assez fréquent chez Rabelais : Pantagruel, avoir entierement conquesté le pays de Dipsodie, en icelluy transporta une colonie de Utopiens = après qu’il eut conquis (cf. Georges Gougenheim, Grammaire de la langue française du xvie siècle, Paris, IAC, 1951, p. 176)


L’infinitif à valeur hypothétique est propre au français québécois. Nos endogénistes n’en parlent à peu près jamais. Il est vrai qu’ils sont plus intéressés par le lexique

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1 Le fait est décrit par P. Villiard et M.-T. Vinet, Travaux de linguistique québécoise 4 (1983) et par G. Dostie et J.-M. Léard, Revue québécoise de linguistique 15 (1985).



vendredi 15 août 2014

Le québécois standard illustré par l’exemple / 10


Parmi les commentaires publiés en ligne à la suite de l’article d’Antoine Robitaille « Nouveaux tabous », voici celui de Normande Poirier qui, comme moi, se montre plus inquiète des calques (parler anglais avec des mots français) que des anglicismes lexicaux (les mots anglais utilisés tels quels en français) :

Selon moi, le fait de considérer l’apprentissage de l’anglais comme responsable de la dégradation de notre langue est une erreur. Au contraire, la bonne connaissance de l’anglais nous permet de mieux repérer les calques dont est parsemé le français que nous parlons, qui sont des erreurs graves sur le plan syntaxique, bien plus graves que les anglicismes, car ils s’attaquent au fondement même de la langue. Ainsi […] « Comment puis-je vous aider ? » (Que puis-je faire pour vous?) qui est la traduction littérale de « How can I help you? » […] Au vu de la syntaxe de leurs phrases, on a parfois l’impression que certaines personnes parlent anglais, mais avec des mots français.


Et voici le commentaire de Sylvio Bellerose sur la même page :

Moi, je n'en peux plus de tous ces « bon matin », de tous ces « problèmes à adresser », de tous ces « acteurs versatiles » et de ces « merci pour votre temps ». Tous ces anglicismes pernicieux et insidieux forment un véritable tsunami impossible à stop... arrêter. Nous ne sommes pas sortis du bois... je dirai plutôt que nous ne sommes pas sortis de l'auberge.



jeudi 14 août 2014

Orienter l’usage, qu’i disent !


Hier, sur une page Facebook à laquelle je suis inscrit, on s’inquiétait de la graphie hummus que l’on trouve sur les emballages de cette spécialité levantine. Quand on consulte le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF), on est étonné par le nombre de propositions, pas moins de six, dont cinq variantes graphiques, pour désigner cette préparation culinaire. Pour un ouvrage qui a la prétention d’orienter l’usage, ce n’est pas fort. (En passant, on peut se demander si une variante graphique peut être considérée comme un terme.)



Mais il y a plus curieux encore. Car l’anglicisation de la langue se manifeste décidément partout. Dans la définition de hoummos dans le GDT, on lit : « Plat du Moyen-Orient… » Moyen-Orient, c’est de l’anglo-américain. Il aurait fallu écrire Proche-Orient. En anglais britannique, on distinguait autrefois le Near-East du Middle-East. De même, en français, le Proche-Orient (ou Levant) et le Moyen-Orient. Mais l’influence de l’anglais tend à généraliser l’appellation Moyen-Orient pour des pays comme Israël et le Liban. La version anglaise de Wikipedia dit : « Hummus (Arabic: حُمُّص‎) (also spelt houmous) is a Levantine food dip or spread », ce qui a le mérite d’être clair quant à l’origine du plat : le Levant, ou Proche-Orient, pas le Moyen-Orient.


Tout aussi curieux est le fait que la définition du mot que donne le GDT omet un ingrédient essentiel qui entre dans la composition du plat. En effet, on lit : « Plat du Moyen-Orient, fait d'une purée de pois chiches, d'huile et de jus de citron, souvent servi comme hors-d'œuvre ». Il y manque le tahini (voir le site de Ricardo et celui d’À la di Stasio).


Le GDT a tout de même enregistré le mot tahini mais sous l’entrée principale beurre de sésame. Rappelons ce qu’est le tahini : une pâte faite de graines de sésame moulues (cf. GDT, Termium, etc.). On peut s’interroger sur la pertinence d’utiliser le mot beurre pour désigner un produit non laitier. La banque de données terminologiques Termium préfère tahini et ne donne pas beurre de sésame. Cette contradiction entre le GDT et Termium est pour le moins fâcheuse, autant pour les fabricants que pour les consommateurs.


mercredi 6 août 2014

Le néo-joual ?


Le fait « franglais » est de plus en plus observable dans certains quartiers montréalais, mais au-delà des quartiers, c’est une tranche de la population québécoise qui commence à s’exprimer ainsi. Dénigrer les gens qui communiquent entre eux dans un grand mélange de français et d’anglais est inutile dans la mesure où c’est une réalité.
— Rodolphe Demers alias Rod le Stod (Rappeur montréalais), « Pour un dialogue entre le ‘rap keb’ et l’intelligentsia québécoise », Le Devoir, 6 août 2014


Que voilà un objet d’étude qui devrait interpeller l’Office québécois de la langue française ! Dans le débat sur l’anglicisation, ou la franglicisation, de Montréal, il serait temps que nous disposions de données objectives plutôt que de donner libre cours aux interprétations et impressions de tout un chacun. Malheureusement, l’Office, qui n’a pas produit de bilan en 2013, n’avait de toute façon pas inscrit ce thème dans son plan de travail 2008-2013. On nous promet qu’il y aura un vrai bilan en 2018. Y traitera-t-on de la progression, réelle ou supposée, du franglais à Montréal ?


lundi 4 août 2014

La maire ou la mairesse ?




Orienter l’usage ou être orienté par l’usage ? Ou encore accepter d’être en retard sur l’usage ? En juin dernier, l’Académie française publiait le rappel suivant sous le titre « La maire » :


Peut-être n’est-il pas inutile de rappeler, quelque temps après les élections municipales, que maire est un nom masculin, que la personne qui exerce cette fonction soit un homme ou une femme, et qu’il convient de distinguer le sexe d’une personne qui exerce une fonction du nom qui désigne cette fonction. Il en va de même pour les autres fonctions comme ministre et préfet ou, pour d’autres termes plus généraux, comme témoin ou professeur. À l’inverse, et sans qu’aucun lien n’unisse ces différents mots, crapule et vedette sont des noms féminins, que les personnes que l’on qualifie ainsi soient des hommes ou des femmes. On dira donc : Madame X est le maire de la commune, Monsieur Y est une grande vedette, mais son frère est une crapule.


Dans son argumentaire, l’Académie ne se rend pas compte que les mots crapule et vedette ne sont pas des noms de fonction…


Au Québec, le féminin la maire semble plutôt marginal puisqu’on lui préfère mairesse. Je me rappelle toutefois qu’aux Jeux olympiques de Montréal, lord Killanin, président du CIO, avait parlé de Jean Drapeau comme de « la maire de Montréal ». Ce ne fut pas le seul lapsus de ces Jeux qui ont connu une remise de médailles en… hétérophilie.


Plusieurs croient à tort que le suffixe –esse est toujours péjoratif. De nombreux exemples montrent pourtant que ce n’est pas le cas lorsqu’il s’agit de noms de fonction : comtesse, vicomtesse, duchesse, princesse, prêtresse, abbesse. Les écrivains anticléricaux n’ont pas de scrupule à parler de la légendaire papesse Jeanne. Tous ces exemples sont des titres s’appliquant à une femme qui exerce les mêmes fonctions qu’un homme.


En ce qui concerne les noms de métier ou de profession, le Trésor de la langue français informatisé cite doctoresse et contremaîtresse et il ajoute qu’« en dehors de ces deux mots, les fém. en -esse sont considérés comme des formations marginales ou marquées péjorativement ». Mais le Trésor de la langue française a été publié de 1971 à 1994. L’utilisation des formes féminines ou épicènes (formes valables pour les deux genres) a beaucoup progressé depuis ce temps. On peut prévoir qu’il restera des exceptions, mannequin au masculin même en parlant de femmes, vedette au féminin même en parlant d’hommes, mais que maire au masculin en parlant d'une femme n’en fera pas partie : pour s’en persuader il suffit de lire et d’écouter les médias francophones aussi bien du Québec que d’Europe.



vendredi 1 août 2014

Le québécois standard illustré par l’exemple / 9


Dans les commentaires suscités par l’article d’Antoine Robitaille « Nouveaux tabous » et que l’on peut lire sur le site du Devoir, je trouve cet exemple d’un usage qu’il faut bien décrire comme appartenant au québécois standard puisqu’on l’entend dans des « situations de communication formelle* » et qu’on le lit dans la presse :


On peut utiliser des mots anglais à l'occasion. Ce qui est grave, c'est de penser en anglais quand on parle français : Il va être rencontré par la police, c'est très bien en anglais, mais en français, c'est un calque. Par exemple, on ne dit pas il va être rencontré par un mur.
– André Poirier


  
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* Rappelons la résolution adoptée à l’unanimité en 1977 par l’Association québécoise des professeurs de français (AQPF) : « Que la norme du français dans les écoles du Québec soit le français standard d'ici. Le français standard d'ici est la variété de français socialement valorisée que la majorité des Québécois francophones tendent à utiliser dans les situations de communication formelle. » Personne ne semble s’être alors rendu compte que cet usage de l’adjectif formel pouvait être discutable en français.