jeudi 12 février 2015

Quatrième anniversaire



C’est aujourd’hui le quatrième anniversaire de la publication, dans Le Devoir, du manifeste des anciens terminologues de l’Office québécois de la langue française, Au-delà des mots, les termes. Le manifeste dénonçait le changement d’orientation dans les travaux terminologiques de l’Office québécois de la langue française. Le manifeste a été signé par dix-neuf anciens terminologues de l'OQLF. Il a reçu l’appui d’une centaine de professionnels de la langue, linguistes, terminologues, traducteurs, correcteurs ou réviseurs.


Marie-Éva de Villers, auteure du Multidictionnaire de la langue française, a écrit la lettre d’appui suivante :


Dans un texte publié le 12 février 2011 par Le Devoir, le linguiste Jacques Maurais et plusieurs ex-collègues terminologues de l’Office québécois de la langue française (OQLF) déplorent un changement d’orientation noté dans certaines fiches du Grand Dictionnaire terminologique (GDT).

À titre de terminologue responsable des termes du domaine de la gestion de 1972 à 1980 à l’Office de la langue française, d’auteure du Multidictionnaire de la langue française et de directrice de la qualité de la communication à HEC Montréal depuis 1990, je souscris entièrement à la prise de position exprimée par les signataires de ce texte.

Il est peut-être nécessaire de rappeler que le Grand Dictionnaire terminologique n’est pas un dictionnaire usuel, mais plutôt une banque de données de trois millions de termes appartenant à des domaines de spécialité dont l’objet est de déterminer l’usage à privilégier, et non pas d’observer ou d’enregistrer les différents usages. « Il importe que l’école, les milieux de travail et l’ensemble de la société québécoise disposent de la terminologie française dont ils ont besoin et que des outils d’aide à la maîtrise du français soient accessibles de façon à favoriser le remplacement d’une terminologie existante inappropriée [...] », peut-on lire dans le Plan stratégique en matière de politique linguistique 2009 — 2014, section 2, p. 14, qui figure dans le site Internet de l’OQLF.

Les fiches du GDT sont généralement excellentes et renseignent adéquatement les langagiers du Québec et de toute la planète. Cependant, certaines fiches se contredisent et traduisent effectivement une orientation descriptive ne correspondant pas aux principes directeurs dont l’Office s’est doté pour conduire ses travaux terminologiques.


Voici la lettre adressée à l'ancienne présidente de l'OQLF par Lionel Meney, auteur du Dictionnaire québécois-français : pour mieux se comprendre entre francophones (Guérin, Montréal, 1999) et de Main basse sur la langue. Idéologie et interventionnisme linguistique au Québec (Liber, Montréal, 2010), et publiée sur le site de Vigile.net sous le titre « Halte à la dérive de l’Office québécois de la langue française » :

Le « Grand Dictionnaire terminologique » est devenu plus un ouvrage de lexicographie québécoise que de terminologie française.

J’ai pris connaissance de la lettre ouverte, qui vous a été envoyée par neuf anciens collaborateurs de l’Office, sous le titre « Changement d’orientation à l’Office québécois de la langue française. Au-delà des mots, les termes » (voir Le Devoir du 12 février 2011). Je tiens à vous dire que je partage pleinement les critiques portées à votre attention par ces spécialistes qui, ensemble, totalisent un nombre considérable d’années d’expérience dans le domaine de la terminologie, gage du sérieux de leurs critiques.

Moi-même, j’ai procédé à une étude approfondie d’un très grand nombre de fiches terminologiques du GDT. J’ai exposé ma critique dans un chapitre de mon livre « Main basse sur la langue ». Sans entrer dans le détail de ce chapitre intitulé « Le Grand Dictionnaire terminologique ou Orientation de l’usage et usagers désorientés » (p. 405-433), je me limiterai à une énumération des principaux reproches qu’on peut faire à cet ouvrage, à savoir :

• Un changement de norme linguistique. À l’origine, c’est le français standard international qui servait de norme aux travaux de l’Office. Depuis plusieurs années, on remarque que le français vernaculaire québécois leur sert de plus en plus de modèle de référence. Ce glissement a eu plusieurs conséquences négatives. Il a provoqué une hétérogénéité déplorable dans le traitement des termes, selon la date de leur traitement. Il limite l’information de l’utilisateur québécois et le cantonne souvent à des termes de diffusion restreinte. Il étonne et déroute l’utilisateur non québécois.

• Une dérive d’une approche terminologique à une approche lexicographique. Depuis plusieurs années, on trouve de plus en plus dans le GDT des fiches correspondant plus à un ouvrage de lexicographie québécoise que de terminologie française. Il faut rappeler que la Charte de la langue française a confié à l’Office le mandat de définir et de conduire la politique québécoise en matière de terminologie française. Une approche terminologique a pour objectif : a) l’étude de la dénomination des objets et des concepts dans un domaine spécialisé ; b) la détermination et la promotion des termes corrects dans ce domaine. Un ouvrage lexicographique a pour objectif de décrire les termes en usage dans la langue, sans avoir à juger de leur adéquation au concept, de la qualité de leur formation, de leur utilisation par les spécialistes du domaine, de leur correction ou de leur incorrection. Ce sont donc deux approches totalement différentes. L’État québécois a déjà subventionné généreusement d’autres projets visant à rédiger des dictionnaires du français québécois. En ces temps de grandes difficultés budgétaires, le GDT ne doit pas doublonner avec eux. L’opinion publique ne l’admettrait pas.

• Des critères d’acceptation ou de condamnation des termes arbitraires, fondés sur des a priori idéologiques, compliqués, contradictoires, d’où un respect non systématique, une application inconséquente de ces critères, variable selon les terminologues et selon les termes.

• Des distinctions alambiquées, peu compréhensibles pour le non-initié, entre « synonyme » et « quasi-synonyme », « terme non retenu » et « terme à éviter », etc.

• Des inconséquences et des erreurs dans l’établissement des marques topolectales.

• De graves lacunes dans la recherche terminologique, qui semble souvent limitée à l’environnement immédiat.

• Une absence de renseignements, dans les fiches accessibles en ligne, sur les sources bibliographiques ayant conduit aux choix terminologiques, ce qui fait peser des doutes sur le sérieux de la recherche.

• Des contradictions dans le traitement de termes de même catégorie (comme les emprunts à l’anglais) et, même, d’un même terme, selon les fiches.

• Une confusion dans la détermination et la définition de certains concepts et dans les explications censées éclairer les utilisateurs sur le choix des dénominations correspondantes.

• Un parti pris pour les termes vernaculaires, même si les termes internationaux ont également cours au Québec.

• Une absence fréquente de mention des équivalents existant en français international.

• Des justifications forcées, laborieuses de certains choix terminologiques, en général des termes québécois (souvent influencés par l’anglais) concurrencés par des termes internationaux.

• La légitimation de nombreux calques de l’anglais au seul motif qu’ils sont en usage en français québécois.

• De graves lacunes dans la gestion des fiches, des fiches qui ont vieilli, des fiches qui se contredisent, etc.

• Une qualité de la langue qui laisse parfois à désirer.

Je crois que l’Office québécois de la langue française a besoin de procéder à une sérieuse réflexion sur son travail terminologique, le modèle linguistique qui doit guider ses choix, ses méthodes de recherche, ses critères d’acceptation des termes. Un coup de barre s’impose pour redresser la situation, revenir à l’esprit de sa mission : il en va de sa crédibilité. Même si le nombre de consultations du GDT est élevé, cela ne signifie pas que tous les utilisateurs sont satisfaits. Les anciens collaborateurs de l’Office qui vous ont adressé cette lettre sont plus qualifiés pour vous dire ce qu’il en est exactement de la qualité du travail terminologique.



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