jeudi 9 avril 2015

De carneter à bloguer


Le Grand dictionnaire terminologique de l'Office de la langue française recommande l'usage du mot carneter en lieu et place du mot bloguer.
Didier Fessou, « Êtes-vous moufflet ou muffin ? », Le Soleil, 14 mars 2010


C’est en relisant mes notes que j’ai retrouvé cette citation de Didier Fessou. J’avais oublié que l’Office québécois de la langue française (OQLF) avait déjà proposé carneter* (d’ailleurs, pourquoi carneter et non carnetter, qui me semblerait plus près de la prononciation que je prête spontanément à ce néologisme que, faut-il le préciser, je n’ai jamais entendu ?). L’OQLF semble s’être ravisé puisqu’il n’est plus fait mention de carneter que dans une note de la fiche bloguer.


Tout cela m’a amené à jeter un coup d’œil à la fiche blogue, où j’ai lu cette remarque :

Bien qu'elle soit souvent utilisée par des francophones, la graphie blog (emprunt intégral à l'anglais), qui est mal adaptée sur le plan morphologique (le suffixe ‑og n'existe pas naturellement en français), est déconseillée en français. Il en est de même pour la graphie weblog.


D’où peut bien sortir cette idée étrange que ‑og pourrait être un suffixe ?


Car si ‑og est un suffixe, cela ne laisse plus que bl‑ comme racine. Une racine de deux lettres, en fait deux consonnes. Une racine bilitère. Comme dans une langue sémitique ! Alors que, dans le même paragraphe, on nous dit que blog n’est finalement en anglais que la forme tronquée de weblog.


Wikipedia, encore une fois plus utile que le GDT, nous apprend l’origine de blog en anglais : « The short form, "blog", was coined by Peter Merholz, who jokingly broke the word weblog into the phrase we blog... ». Par conséquent, pas de suffixe ‑og ni en anglais, ni en français.


Selon l’Oxford, weblog vient de web + log : « from web in the sense 'World Wide Web' + log in the sense 'regular record of incidents'. »


On voit donc que l’affirmation non fondée « la graphie blog […] est mal adaptée sur le plan morphologique » est tout simplement une façon d’impressionner et surtout d’intimider le lecteur non linguiste.


Dans la fiche blogue actif (2006) on lit la même remarque : « Bien qu'elle soit souvent utilisée par des francophones, la graphie blog (emprunt intégral à l'anglais), qui est mal adaptée sur le plan morphologique (le suffixe -og n'existe pas naturellement en français), est déconseillée en français. Il en est de même pour les termes formés avec le mot blog. »


D’où l’on peut conclure qu’il est recommandé de ne pas former de dérivés à partir de la forme blog, mais plutôt à partir de blogue. Pourtant on lit dans la fiche blogue (2009) : «Le mot blogue a permis la création de plusieurs dérivés, dont bloguer, blogueur et blogage, qui sont de plus en plus répandus.»


Pourquoi proposer blogage plutôt que bloguage puisqu’il est déconseillé de former des termes à partir de la graphie blog ? Pourquoi accepter la graphie blogosphère (fiche de 2006), plutôt que bloguosphère ?


Ma remarque ne fait que souligner une contradiction du GDT, ou une erreur de rédaction. Car je sais bien que l’on peut justifier la graphie ‑gage. La plupart des verbes en ‑guer ont en effet des dérivés en ‑gage : élagage venant d’élaguer, tangage, de tanguer ; mais draguer donne dragage aussi bien que draguage selon le Trésor de la langue française informatisé (TLFi). Et dans ce dictionnaire, qui n’a qu’une entrée blocage, on trouve dans une définition la forme bloquage : « Au fig. Bloquage d'un processus. » (s.v. enrayage).


Pour terminer, je constate que les néologismes anglocarnétosphère et francocarnétosphère proposés par le GDT n’ont jamais été utilisés dans la blogosphère (ou la carnétosphère…)  ou plus généralement dans Internet ailleurs que sur le site de l’Office. Vous les lisez pour la première fois à l’extérieur du site de l’Office !
 
En googlant «anglocarnétosphère», on obtient quatre résultats, tous sur le site de l'OQLF

En googlant «francocarnétosphère», on obtient trois résultats, tous sur le site de l'OQLF


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* Et on ne nous dit pas comment ce verbe se conjugue : je carnète, comme j’achète, ou je carnette, comme je jette ?


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