lundi 29 février 2016

Être dans la limonade, c’est aussi vendre des sodas



En ouvrant une cinquième succursale à Québec, Saint-Henri micro-torréfacteur a apporté avec lui ses cousins, les sodas Henri.
[…]
Ce dernier rêvait alors de fabriquer au Québec des sodas artisanaux […]
Pour l'instant, les sodas sont encore embouteillés à la main, à Montréal, dans leurs locaux de la rue Ontario, ce qui limite la production.
À Québec, en plus du café Saint-Henri au 849, rue Saint-Joseph Est*, qui distribue les produits, on peut trouver la sélection de sodas à l'Épicerie de la rue Couillard dans le Vieux-Québec […]
– Laurie Richard, « Henri Sodas, pétillants classiques au goût du jour », Le Soleil (version électronique mise à jour le 28 février 2016)


Les 27 avril et 15 juillet 2015, je notais dans ce blog que le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) avait rétrogradé le mot soda qui n’apparaît plus en vedette dans ses fiches au profit de boisson gazeuse.


L’Office admet, dans ses fiches, que c’est le terme soda qui est « surtout employé dans la langue du commerce, en particulier dans l’étiquetage ». C’est bien ce que montrent les extraits de l’article du Soleil publiés en exergue.


La position de l’Office, qui donne aujourd’hui priorité au terme boisson gazeuse, peut paraître paradoxale quand on lit dans la liste des sources, à la fin de l’article soda du Trésor de la langue française de Nancy, cette référence aux travaux de l’ancienne Commission de terminologie de ce même Office de la langue française :

DUBUC (R.). Décisions de la Commission de terminol. de l'OLF. Meta. 1979, t. 24, no 3, pp. 414-415; n o 4, p. 493.


L’Office, conformément à son mandat, devrait s’occuper en priorité de la francisation de la langue du commerce et des affaires : alors, pourquoi ne pas mettre en tête de ses fiches le mot soda ?

                « Pénélope terminologue »
__________
* C’est-à-dire à deux pas de l’OQLF.


mercredi 24 février 2016

Nouveau front

Je commence aujourd’hui un blog en espagnol, Lingüísticamente Correcto. La publication se fera sur une base irrégulière.

lundi 22 février 2016

La chronique d’une guerre picrocholine


Dans deux billets publiés la semaine dernière dans son blog de Mediapart, le linguiste français Robert Chaudenson a fait l’historique des rectifications orthographiques de 1990 proposées par le Conseil supérieur de la langue française (de France) et approuvées alors à l’unanimité par l’Académie française sous la réserve essentielle du maintien des deux orthographes, l’ancienne et la nouvelle. On sait que le débat a récemment resurgi en France, l’Académie se plaçant dorénavant du coté des opposants à la réforme.


Les deux billets de Robert Chaudenson :


Robert Chaudenson conclut que « rien n’a changé en un quart de siècle et, à quelques inexactitudes ou erreurs historiques près de part et d’autre, chacun campe sur ses positions. » Bref, « tout le monde a tort et raison à la fois ! »


Ce que Chaudenson ne dit pas dans cet historique, c’est que, dans la rédaction des propositions de rectifications, la France n’a consulté officiellement aucun de ses partenaires francophones. Il se trouve toutefois qu’un des membres du Conseil supérieur de la langue française de France, nommés par décret* du gouvernement français, était un grammairien belge, André Goosse. Il ne représentait donc pas officiellement la Belgique. Les Belges ont eu la gentillesse, ou le bon sens diplomatique, de considérer qu’ils avaient été consultés. Les Québécois ont eu vent, un peu par hasard, à l’occasion d’une mission en France du président de leur Conseil (pas encore supérieur) de la langue française, des travaux alors en cours mais sur le point de se terminer. Des spécialistes québécois rapidement consultés ont fait des propositions allant assez loin dans la voie de la réforme mais elles n’ont pas été retenues. Le Québec a tout de même entériné le projet, tout comme l’ont fait les Belges : l’essentiel étant de montrer qu’il était possible de bouger sur la question de l’orthographe. Quant aux Suisses, on ne leur a pas demandé leur avis : c’est pour ne plus être tenus à l’écart qu’ils ont ensuite créé leur Délégation à la langue française (comme le rappelle d’ailleurs le site de la Délégation : « La DLF a été fondée en 1992, dans la mouvance des rectifications orthographiques du début des années nonante »). Et on a encore moins songé à consulter les autres francophones. 
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* En 1993, le gouvernement français a nommé la Québécoise Denise Bombardier à son Conseil supérieur de la langue française et en 2003 l’Acadienne Antonine Maillet.


dimanche 21 février 2016

L’influence d’un blog /2


Le 11 janvier, j’ai mis en ligne un billet (« L’accent du Grand Dictionnaire terminologique ») où je notais que le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) confondait accent grave et accent circonflexe dans sa fiche « djihad ». L’erreur a depuis été corrigée. Mais la définition (fort incomplète ou, du moins, irénique) est demeurée la même.


Ancienne fiche :




Nouvelle fiche :




Constatons-le : l'Office est dorénavant prompt à corriger les broutilles qu'on lui signale, moins réactif quand il s'agit des calques. Une question demeure : quand on fait la mise à jour d’une fiche, pourquoi ne change-t-on pas la date ? La fiche corrigée en 2016 porte toujours la date de 2009.


vendredi 19 février 2016

L’usage flottant


Dans le billet du 16 février, je citais le site RTL qui présentait Hélène Carrère d’Encausse comme LA secrétaire PERPÉTUEL de l’Académie française. Dans son édition du 16 février, Libération féminise complètement le titre :

  
Libération, 16 février 2016

La ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem, quant à elle, écrit à l’académicienne en l’appelant « Madame le Secrétaire perpétuel » :

 
Cliquer sur l'image pour l'agrandir



Comme on sait, Hélène Carrère d'Encausse insiste pour se faire appeler le secrétaire perpétuel et l'Académie, au terme d'une «analyse scientifique», a rappelé à quelques reprises que le masculin a une «valeur collective et générique».


Mais pourquoi donc cette lettre à la Perpétuelle ? C’est qu’Hélène Carrère d’Encausse a déclaré au Figaro (12 février 2016) qu’elle ne comprenait pas « les raisons qui expliquent l’exhumation d’une réforme de l’orthographe élaborée il y a un quart de siècle et où l’Académie française n’a eu aucune part, à l’inverse de ce que l’on a voulu faire croire ». La ministre lui rétorque que « ces rectifications sont intégrées dans la neuvième édition du dictionnaire de l’Académie française » et que l’Académie française, dont était déjà membre Hélène Carrère d’Encausse à cette époque, avait approuvé les rectifications orthographiques de 1990 « à l’unanimité ».


Najat Vallaud-Belkacem aurait été mieux avisée d’appliquer la directive de 1998 du premier ministre Lionel Jospin sur la féminisation des titres de fonction en écrivant à « la secrétaire perpétuelle », ce qui aurait été un beau pied de nez.

jeudi 18 février 2016

Comment naît un calque



La commission parlementaire est « jammée », « confiturée », se désolait Mme Vallée en début de journée.
– Marco Bélair Cirino, « Agnès Maltais dit faire de l’‘obstruction intelligente’ », Le Devoir, 17 février 2016

La citation mise en exergue illustre le passage d’un emprunt intégral francisé à un calque qui est d’apparence plus française mais qui est en bout de ligne tout aussi anglais. C'est l'apparition d'un calque dont on ne sait, pour l'instant, s'il sera mort-né ou s'il survivra.


Le calque est une traduction littérale soit d’une expression soit d’un mot dont on peut analyser les parties. L’application est simple : on se sert de la première traduction donnée dans les dictionnaires anglais-français et on traduit mot à mot les parties. Ainsi, le premier sens de jam est « confiture ». Jammed se décompose en : JAM(M) + ED (suffixe de passé ou de participe passé). Donc : jamm‑ed = confiture + é (terminaison de participe passé) > confituré.


Le verbe confiturer ne figure ni dans le Larousse en ligne, ni dans le Trésor de la langue française informatisé (TLFi), ni dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF). Seul le GDT a le mot confituré, « variété de biscuits à la confiture » ; je ne sais pas sur quelles sources le GDT s’est basé car, à en juger par mes recherches sur Internet, le mot semble plutôt un hapax*.


Le Larousse anglais-français traduit jam par confiture, encombrement et pétrin. Pour l’Oxford anglais-français, le substantif jam signifie aussi : embouteillage, blocage, pétrin (fam.). Le verbe peut signifier : entasser, coincer, encombrer, enrayer, brouiller, etc., selon les contextes.


Je n’ai trouvé le verbe confiturer que dans le Wiktionnaire, avec trois sens : 1) transformer en confitures ; 2) tartiner de confiture ; 3) doter de confiture. Seul ce dernier sens est appuyé par une citation littéraire :

Quand j’eus relié tous ces signes entre eux, je compris que le dépôt du Centre Aéré n’était pas la plus riche colonie de la plage, et que je ne pouvais décemment pas rester l’amie d'une enfant dont la famille — dûment confiturée tous les matins — pouvait s’enorgueillir de la possession d’un vrai sac de plage, de la location de deux transats, et d’un séjour-plein-tarif aux "Ducs de Bretagne". — (Françoise Chandernagor, La Sans Pareille, 1988)


Les équivalents anglais de confiturer que donne le Wiktionnaire – jammize, jammify, enjam – semblent être aussi des hapax.


En conclusion, si la ministre Stéphanie Vallée avait tenu à s’exprimer en français tout court plutôt que de vouloir donner un exemple de plus du « français standard en usage au Québec », elle aurait dit : la Commission est bloquée, voire la Commission est dans le pétrin.

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* Hapax, « mot, forme dont on n'a pu relever qu'un exemple » (TLFi). Du grec παξ « une fois », παξ λεγόμενον « dit une seule fois ».


mercredi 17 février 2016

Hivernants fuyant les habitants


À quelques reprises ces derniers jours j’ai entendu à la radio le mot snowbird. De quoi s’agit-il ? Pour le dictionnaire Webster, snowbird désigne « someone who spends the winter months in a warm place ». Le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) propose comme équivalent hivernant, « personne qui, l'hiver, quitte son lieu d'habitation pour séjourner dans un pays ou une région au climat plus doux ».


Une capsule du 14 janvier 2010 de l’OQLF précise : « En français, quelques dénominations ont été proposées pour éviter cet anglicisme : l'équivalent le plus simple, à défaut d'être aussi coloré que snowbird, est le terme hivernant, substantif qui est d'ailleurs usité en français européen pour désigner des touristes qui migrent aussi pendant la saison froide dans des endroits au climat plus doux. Par exemple, on parle d'hivernants sur la Côte d'Azur. »


Substantif […] usité en français européen Or, il semble bien que ce sens donné à hivernant, loin d’être usité*, soit vieilli dans ce que nos endogénistes appellent le français de référence (le français des dictionnaires publiés en France). On trouve le mot dans des écrits qui parlent des Britanniques et des Russes qui, au xixe siècle, allaient passer l’hiver sur la Côte d’Azur. On parlait d’ailleurs à l’époque de stations hivernales : « Tout le long de cette avenue [de Saint-Raphaël à Saint-Tropez] (...) on essaye de créer des stations hivernales » (Maupassant, Sur l’eau, 1888, cité dans le Trésor de la langue française informatisé). Aujourd’hui, le mot hivernant s’emploie toujours mais généralement dans un autre sens.


Ainsi le Larousse donne cette définition : « personne qui séjourne quelque part pendant ses vacances d’hiver, en particulier dans une station de sports d’hiver ». Pour le Larousse, l’hivernant court plutôt après le froid, pour le GDT il le fuit.


Le GDT, si prompt à nous servir des tartines historico-lexicographiques, ne mentionne pas le sens que le mot hivernant avait anciennement en français québécois. Avec raison évidemment dans ce cas-ci car on ne voit pas ce que pareils renseignements viendraient faire dans un dictionnaire terminologique (et pourtant l’OQLF s’obstine à citer l’édition de 1762 du Dictionnaire de l’Académie française dans sa fiche « déchets ménagers » dans une tentative pour réhabiliter l’usage du mot vidanges depuis longtemps en régression dans les communications des municipalités du Québec).


Anciennement au Québec, l’hivernant** (venu en Nouvelle-France pour une année) se distinguait de l’habitant (venu s’établir à demeure). Voici ce qu’on trouve dans le Dictionnaire canadien-français de Sylva Clapin (1894) :



Le mot s’est répandu jusque dans l’Ouest du continent, ainsi que l’atteste le Glossary of Mississipi Valley French 1673-1850 de John Francis McDermott (1941) :



*   *   *

Pour le GDT, snowbird est un « emprunt intégral » qui est « difficilement intégrable au système du français ». Toujours la même formule passe-partout pour rejeter un emprunt. Le mot est déjà intégré phonétiquement, on le prononce « snôbeurde ». Il est aussi intégré morphologiquement : au pluriel, on n’entend jamais « snôbeurdze ». Que voulez-vous de plus ? Un petit chausson avec ça ?
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* Usité : « Qui est en usage, couramment employé. Synon. courant, usuel » (Trésor de la langue française informatisé).
** Sur le mot hivernant, voir aussi : Konrad Fillion, « Essai sur l’évolution du mot habitant (XVIIe-XVIIIe siècles) », Revue d'histoire de l'Amérique française, vol. 24, n° 3, 1970, p. 375-401.


mardi 16 février 2016

L’Académie, la réforme de l’orthographe et la féminisation des titres de fonction


Invitée sur RTL, Hélène Carrère d'Encausse, historienne et secrétaire perpétuel de l'Académie française, explique les raisons de son opposition face à cette réforme qu'elle qualifie d'une "vieille affaire".
– Site RTL, 15 février 2016


Sur le site de RTL (en ligne le 15 février 2016), on peut lire que LA secrétaire PERPÉTUEL de l’Académie française s’oppose à la réforme de l’orthographe (ou plutôt aux rectifications orthographiques de 1990) dont tout le monde croyait qu’elle avait reçu l’aval de l’Académie. On sait qu’Hélène Carrère d’Encausse n’ a jamais accepté de se faire appeler la secrétaire perpétuelle. Mais de là à respecter sa préférence au point d’écrire LA secrétaire PERPÉTUEL...

 
Crédit Média : Yves Calvi


On apprend aussi qu’un sondage Ifop pour le site Atlantico révèle que 80 % des Français sont totalement opposés à la réforme de l’orthographe.



lundi 15 février 2016

Le circonflexe restera mais les autres accents disparaîtront


La polémique récente sur la disparition possible de l’accent circonflexe, au moins dans certains mots, aurait pu faire oublier que la plupart des accents, les accents régionaux ceux-là, sont en voie de régression en France. Un article du Figaro nous le rappelle ce matin.


Extrait du Figaro du 15 février 2016 :

De Toulouse à Strasbourg, les jeunes générations ont de plus en plus tendance à s'exprimer dans un français « standardisé » imposé par Paris et ses élites.
Si le nombre de Français pratiquant les langues régionales ne cesse de diminuer, les accents régionaux, restes de ces mêmes langues, tendent aussi à s'estomper. « Nous sommes dans une phase d'homogénéisation des prononciations, surtout chez les plus jeunes même si on peut assister à des sursauts d'affirmation identitaire, à Marseille, par exemple », explique Philippe Boula de Mareüil, linguiste et directeur de recherche au CNRS.
Dans la plupart des façons de parler le français, le « r » roulé s'est ainsi presque perdu. « On l'entend encore un peu en Bresse bourguignonne ou dans l'Ariège, uniquement chez les locuteurs les plus âgés », poursuit le linguiste.
Maître de conférences en occitan à l'université de Montpellier, Marie-Jeanne Verny constate également cette disparition ...


La journaliste Adeline François résume ainsi l’article du Figaro sur le site de RTL :

La glottophobie, ou la peur de l'accent, a gagné toute la société en même temps que disparaissent nos langues régionales. Nous sommes dans une phase d’homogénéisation des prononciations. Dans le Sud-Ouest, les jeunes ne prononcent quasiment plus le "S" à la fin de "moins", à Marseille, on dit de plus en plus souvent "rause", et en Alsace, les jeunes comptent jusqu'a vingt et non plus "vinte". Partout, le "R" roulé a quasiment disparu.

Les chercheurs en sociolinguistique avancent plusieurs explications. La première c'est la mobilité : on déménage et on perd son accent. Beaucoup gomment aussi leur prononciation pour faciliter leur trajectoire sociale et professionnelle, au point de prendre des cours d'orthophonie. Parce qu'avoir un accent, aujourd'hui en France, c'est risqué d'être moqué comme un plouc. Accent picard ou accent alsacien en tête, mais pas seulement : même l'accent du Sud, qui bénéficie d'un a priori sympathique, peut très vite devenir pas sérieux.

Cliquer ici pour accéder à un jeu vous permettant de vérifier vos connaissances sur les accents régionaux. Ou encore cliquer ici pour participer à une enquête scientifique sur votre prononciation.

samedi 13 février 2016

L’opinion d’un éditeur québécois sur la réforme de l’orthographe

L’éditeur Denis Vaugeois, ancien ministre québécois de la Culture, qui fut aussi conseiller des dictionnaires Larousse, a accordé une entrevue le 4 février à la journaliste Catherine Lachaussée de la station locale de Québec de Radio-Canada. Sujet de l’entrevue : les rectifications orthographiques que les éditeurs de manuels scolaires de France songent à mettre en pratique lors de la prochaine rentrée.

Extraits des propos de Denis Vaugeois : on ne reçoit jamais de manuscrit en nouvelle orthographe… ça leur prend un peu de distraction, ils [les Français] ont assez de problèmes, ils ont fait une diversion avec ça… l’Académie française a lancé tout ça en 1990, j’ai vécu tout ça, j’ai été consultant de Larousse… et puis là il y a eu une résistance et puis finalement ça a tombé mais là… il y a des gens qui étaient frustrés, ils sont revenus à la charge… ça rebondit régulièrement… pour les Français, avec les problèmes qu’ils ont eus récemment, c’est presque une bénédiction un débat comme celui-là, c’est reposant un peu… tout ce qu’on veut corriger a des fondements étymologiques…

Retrouvez l’entrevue complète sur l’audio-fil de Radio-Canada :
http://ici.radio-canada.ca/emissions/lib_radio/v3.2/incpages/pop_indexeur.asp?idMedia=7423151&appCode=medianet&time=1030&json={%22idEmission%22:%224053725%22,%22Date%22:%222016/02/04%22,%22numeroEmission%22:%223873%22,%22urllabase%22:%22/emissions/radio-canada_cet_apres-midi/2015-2016%22}


vendredi 12 février 2016

Cinquième anniversaire


C’est aujourd’hui le cinquième anniversaire de la publication, dans Le Devoir, du manifeste des anciens terminologues de l’Office québécois de la langue française (OQLF), Au-delà des mots, les termes. Le manifeste dénonçait le changement d’orientation dans les travaux terminologiques de l’Office. « L’Office ne peut se limiter à observer et à enregistrer l'usage, ou les usages en concurrence, comme l’exigerait la démarche lexicographique, car il a le mandat de déterminer quel usage il faut préconiser », affirmaient les signataires. Le manifeste a été signé par dix-neuf anciens terminologues de l'OQLF. Il a reçu l’appui d’une centaine de professionnels de la langue, linguistes, terminologues, traducteurs, correcteurs ou réviseurs.


Depuis, l’Office n’a guère modifié sa position. C’est ainsi qu’il continue de promouvoir les calques comptoir de cuisine (< kitchen countertop, plan de travail), glace noire (< black ice, verglas), etc. À ce compte le traducteur automatique de Google est aussi utile que le Grand Dictionnaire terminologique, puisque, lui aussi, il livre des traductions littérales :
 
Source : Grand Dictionnaire terminologique

Source : Google, traduction automatique



Dans le cas de black ice, Google propose la traduction verglas que donnent les dictionnaires anglais-français mais que refuse le GDT :





Exceptionnellement, l’Office a corrigé le calque mélange pour crème glacée (< ice cream mix, préparation pour crème glacée). Mais je ne me rappelle pas qu’il ait corrigé d’autres calques.


En fait, l’Office s’est presque uniquement contenté de corriger les fautes de français les plus criantes qu’au fil des années j’ai relevées dans des fiches du GDT (pour des exemples : cliquer ici). Récemment, il a modifié, en un temps record, une formulation que j’avais critiquée (« les Métis de la Rivière-Rouge (Manitoba), peuple issu d'un mixage français et amérindien »).


Le manifeste des anciens terminologues conserve donc toute son actualité.


jeudi 11 février 2016

Jean d'O sur la réforme de l'orthographe : «Je m'en fous complètement»

Hier soir, Jean d'Ormesson était l'invité d'Éric Naulleau et d'Éric Zemmour sur Paris Première. Interrogé sur la réforme de l'orthographe, il a répondu : « Je m'en fous complètement. »


Autres extraits de l'entrevue :


« Cette décision est un nouvel enfumage » :



« Quand il y a des agriculteurs qui sont en train de se suicider, que les classes moyennes sont écrasées, que l'économie va très mal... C'est inconvenant de faire cette réforme de l'orthographe maintenant quand il y a tant de problèmes... L'Académie française a eu tort » :


À voir à l'adresse : http://news360x.fr/zemmour-naulleau-10-fevrier-2016/

*   *   *

Christian Rioux a interviewé Bernard Cerquiglini, l'un des initiateurs de la réforme de 1990:

Celui qui vient de quitter la direction de l’Agence universitaire de la Francophonie est le premier à admettre qu’en 1990, les spécialistes ont erré en proposant la suppression de l’accent circonflexe sur le « u » et le « i » (coût, île, maître). Cette erreur illustrait, dit-il, le refus d’admettre que la langue française était aussi largement porteuse de mémoire, l’accent rappelant ici une orthographe ancienne (coste, isle, maistre). « Nous avons considéré à l’époque que cet accent ne servait à rien. Mais au contraire, il servait à la mémoire ! Je pense que nous avons eu tort. Et ça, c’est très grave. Surtout pour d’éminents linguistes ! » [...]
Pour le reste, les changements proposés étaient « prudents », puisque la forme ancienne n’est pas fautive, et ils sont plutôt bien repris dans les dictionnaires, dit-il. [...]
Plus fondamentalement, il se pourrait que, aussi imparfaite soit-elle, cette réforme soit arrivée au pire moment, envoyant le mauvais signal alors que l’enseignement de l’orthographe, de la grammaire et de la langue étaient en crise. Dans un contexte où les élèves peinent de plus en plus à écrire correctement, était-ce une bonne idée de laisser penser qu’on allait simplifier les règles ?

Texte complet de l'article de Christian Rioux dans Le Devoir du 11 février 2016:
http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/462685/france-une-reforme-a-contretemps

mercredi 10 février 2016

Gros bicycle, encore

 
Photo Le Soleil, 9 février 2016

Dans Le Soleil de Québec, le mot fatbike (qui devrait s’écrire Fatbike, puisqu’il s’agit d’une marque de commerce) semble ne perdre en rien de sa popularité. Mais il est écrit en italiques :

Dès l'instant où j'ai vu mon premier fatbike dans la neige, je m'imaginais aller rouler là-bas. Il aura fallu quatre hivers pour en avoir finalement l'occasion, mais l'attente en aura valu la peine.
À proximité de Québec, le parc national de la Jacques-Cartier a en effet succombé officiellement à l'attrait du fatbike cet hiver et propose depuis seulement quelques semaines un trajet aller-retour de 16 km sillonnant la rivière, au creux de la vallée. 
[…]
Il ne faut pas se surprendre de l'explosion de l'intérêt pour le fatbike. L'activité semble taillée sur mesure pour le territoire québécois.
[…]
Et tandis que les sports de glisse souffrent du couvert neigeux plutôt timide cet hiver, les cyclistes en fatbike s'en réjouissent. 
[…]
Quiconque sait aller en vélo pourra facilement maîtriser le big foot du cyclisme, en particulier sur un parcours accessible comme celui offert au parc national de la Jacques-Cartier. Sans compter que le petit côté aventure des fatbikes plaira particulièrement aux amateurs de plein air.
[…]
Le fatbike est aussi une nouvelle façon de parcourir l'hiver.
Etc.
– Jean-Sébastien Massicotte, « Le fatbike poursuit son avancée », Le Soleil, en ligne le 9 février 2016

J’ai déjà traité l’année dernière de différents équivalents français pour améliorer la fiche « fatbike » du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) : « La lourdeur du vélo, la légèreté de la fiche ».


L’article de Jean-Sébastien Massicotte contient un autre anglicisme :

Pour l'avoir testé dans la Jacques-Cartier, il est assez facile de transporter du matériel fixé sur les fatbikes. Ce type de vélo convient en effet très bien au bikepacking, cette approche où les montures deviennent des moyens de transport efficaces pour l'homme et ses équipements.


Le GDT a bien une fiche « bikepacking trip » (= randonnée-camping cycliste, fiche de 1993), mais aucune fiche sur bikepacking tout court. Je ne suis pas convaincu que l’équivalent proposé par l’OQLF convienne dans le contexte de cet article.


mardi 9 février 2016

L’exception française

Comme j’en ai récemment fait état dans ce blog, les rectifications orthographiques de 1990 ont refait surface dans le débat public en France. L’Académie française a cru bon de préciser sa position dans un communiqué en date du 5 février 2016. Elle rappelle « qu’elle n’est pas à l’origine de ce qui est désigné sous le nom de ‘ réforme de l’orthographe ’ » et que son approbation des rectifications proposées a toujours été assortie « d’une invitation à la mesure et à la prudence dans la mise en œuvre des mesures préconisées, mettant en garde contre toute imposition impérative des recommandations. » Elle note en particulier :

[…] les rectifications proposées ne consistent en aucune manière à simplifier des graphies résultant d’une évolution étymologique ou phonétique, mais visent à mettre fin à une anomalie, à une incohérence, ou, simplement, à une hésitation, et ainsi à permettre l’application sans exceptions inutiles d’une règle simple, à souligner une tendance phonétique ou graphique constatée dans l’usage, ou encore à faciliter la création de mots nouveaux, notamment dans les domaines scientifique et technique, et, de manière générale, à rendre plus aisés l’apprentissage de l’orthographe et sa maîtrise.


Je retiens le passage suivant : permettre l’application sans exceptions inutiles d’une règle simple. Il faudrait nuancer. Je ne suis en effet pas le premier à constater que les rectifications de 1990 introduisent de nouvelles exceptions : un fruit mûr, mais une pomme mure, ambigüité mais linguistique, sûr mais surement, cachecache mais cache-cœur.


Dès 1991, Josette Rey-Debove et Béatrice Le Beau-Bensa émettaient le constat suivant au sujet des rectifications orthographiques proposées l’année précédente : « On peut dire, avec d’autres spécialistes du mot écrit (linguistes, pédagogues, correcteurs) que les rectifications proposées […] ne sont pas toujours simplificatrices, que de nouvelles exceptions sont venues remplacer les anciennes ; que la réforme est trop limitée pour que l’apprentissage du français écrit en soit vraiment amélioré1. » Marie-Éva de Villers opinait dans le même sens : « Avec un peu de recul, force est de reconnaître aujourd’hui que la simplicité visée par la réforme n’était pas véritablement atteinte par les rectifications proposées, qu’elle imposait un nouvel effort d’apprentissage à tous les locuteurs francophones sans apporter en retour une réduction appréciable des exceptions et de nouvelles règles grammaticales davantage empreintes de logique et d’harmonisation2. »
_______________
1Josette Rey-Debove et Béatrice Le Beau-Bensa, La réforme de l’orthographe au banc d’essai du Robert, Paris, Dictionnaires Le Robert, juillet 1991, p. 6.
2Marie-Éva de Villers, « La réforme de l’orthographe est-elle restée lettre morte? », Correspondance 4/1, septembre 1998 (http://www.ccdmd.qc.ca/correspo/Corr4-1/Villers.html).

lundi 8 février 2016

Nouvelle guerre picrocholine


Les rectifications orthographiques de 1990, jamais vraiment mises en pratique sauf par quelques zélotes et quelques revues spécialisées de linguistique, ont refait surface ces jours derniers dans le débat public en France. L’Académie française avait à l’époque adopté une position digne du roi Salomon : l’orthographe ancienne « reste d’usage », les rectifications ne portant « que sur des mots qui pourront être écrits de manière différente sans constituer des incorrections ni être considérés comme des fautes ». L’Académie attendait que le temps fasse son œuvre. Si le sujet est redevenu d’actualité, c’est que les éditeurs français de manuels scolaires auraient (tous ?) décidé d’imposer la nouvelle orthographe à la prochaine rentrée. Ce qui apparaît comme une nouveauté ne l’est guère. Le Bulletin officiel de l'Éducation nationale du 19 juin 2008 avait affirmé en catimini dans une note en bas de la page 37 : « l’orthographe révisée est la référence ».


Ce nouvel épisode fournit encore une fois l’occasion de constater à quel point l’information véhiculée sur ce sujet, mais ce serait probablement le cas sur tout autre sujet si on prenait la peine d’y regarder de plus près, est souvent fausse, exagérée et, peut-être, délibérément biaisée. Ainsi, le fait que nénuphar pourra dorénavant (peut en fait depuis 1990) s’écrire nénufar fait dire à certains que tous les ph vont disparaître (en passant, Proust écrivait nénufar). D’autres affirment que l’accent circonflexe disparaît, même dans un mot comme mûr, ce qui est faux (le circonflexe est maintenu partout où il permet une différenciation de sens comme dans mûr opposé à mur). Il y a quelques années, j’ai même entendu à quelques reprises qu’on pouvait maintenant dire et écrire les chevals. Cette désinformation est accentuée par les humoristes, hier comme aujourd'hui :



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Au Québec, le ministère de l’Éducation n’a pas vraiment imposé cette réforme mais il a donné la directive de ne pas compter pour des fautes les mots écrits selon l’orthographe nouvelle. La plupart des endogénistes semblent l’avoir adoptée en théorie même si je n’en connais guère qui la mettent en pratique. Quelques personnes ajoutent à la fin de leurs courriels une phrase du type : ce courriel a été écrit en tenant compte des rectifications orthographiques de 1990. Peu de personnes sont en mesure de vérifier si les auteurs de ces messages suivent vraiment les nouvelles recommandations. En tout cas, c’est une façon astucieuse de ne pas se faire reprocher les fautes d’orthographe que pourraient contenir leurs textes, orthographe nouvelle ou pas.


Le dictionnaire Usito, qui fait la promotion du « français standard en usage au Québec », mentionne les rectifications pour tous les mots où elles s’appliquent. Il est tout de même curieux que l’équipe d’Usito puisse à la fois affirmer que les dictionnaires produits à Paris sont acculturants et accepte une réforme orthographique lancée essentiellement par un groupe de dix linguistes parisiens. Les Québécois n’y ont pas vraiment été associés sinon à la toute fin du processus : ils n’ont pu que donner leur aval alors que leurs propositions allaient beaucoup plus loin dans la voie de la réforme. Application du pragmatisme anglais : if you can’t beat them, join them.