lundi 26 septembre 2016

Tatou




– Tu vas te faire enlever tes tatous?
– Je ne sais pas encore.
Mylène Moisan, « Une autre vie loin de la rue », Le Soleil, 24 septembre 2016


Dans sa fiche « tatouage », le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF), pourtant fort porté à rendre compte de la « langue courante », ne fait aucune mention du mot tatou (ou tattoo) au sens de « tatouage ». Doit-on croire qu’on préfère passer sous silence les anglicismes inacceptables « en vertu des critères de traitement de l'emprunt linguistique en vigueur à l'Office québécois de la langue française » ou qui sont considérés comme ne s’insérant pas « dans la norme sociolinguistique du français au Québec » ? Le GDT, depuis son relookage, a une catégorie « termes utilisés dans certains contextes » ou « termes à usage restreint ». Le mot tatou, très courant au moins dans la langue parlée, ne peut évidemment pas être considéré comme un terme à usage restreint.


Dans un tout autre domaine, le GDT a une fiche « tatou », sans définition française (!), avec une note (« les tatous sont des animaux fouisseurs, etc. »)  – et une définition anglaise (« any of several burrowing, chiefly nocturnal mammals… ») contrairement à la plupart de ses fiches. Il est curieux de constater que le GDT contient encore des fiches sans définition française.



mercredi 21 septembre 2016

Trump a aussi la langue bien pendue


Extrait de la chronique de Francine Pelletier dans le Devoir de ce jour :


« … Donald Trump, 6 pieds 2, 236 livres et, prétend-il, bien pendu par-dessus le marché… » : en français, que peut-on avoir de bien pendu si ce n’est la langue ?

Ce qui est pendu en anglais est monté en français (comme un étalon, un âne ou un satyre, au choix).



dimanche 4 septembre 2016

Misères de la francisation de la langue du travail


Dans le Soleil du 2 septembre, Gabrielle Thibault-Delorme nous offre un « Petit lexique pour le novice de la construction ». Ces termes sont souvent familiers ou sont des anglicismes. N’étant pas spécialiste du domaine (en fait, je n’y connais rien), je ne suis pas sûr que les équivalents proposés relèvent toujours du français standard. Par ailleurs, la présentation des termes laisse à désirer du point de vue lexicographique : c’est ainsi qu’on n’indique pas si buffer, ou shimmer, par exemple, sont des noms ou des verbes. Mais l’article a le mérite de fournir une liste de mots couramment utilisés au Québec dans les quincailleries. Cette liste nous permettra de juger de l’utilité du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) pour franciser ce secteur de l’économie.


Dans la première colonne, on trouvera les mots traités dans l’article de Gabrielle Thibault-Delorme. Dans la deuxième, les commentaires de la journaliste et les équivalents qu’elle propose. Dans la troisième, je rendrai compte du traitement que le GDT fait de ces termes.


Termes
Commentaires de G. Thibault-Delorme
Traitement du terme dans le GDT
Bolt
Boulon. Petit objet de métal composé d'une vis et d'un écrou.
Le GDT a plusieurs fiches « bolt », correspondant à des domaines divers. Difficile pour l'usager ordinaire de s'y retrouver.
Boteuse
Scie à onglets
Le GDT a une fiche « botteur » (fém. botteuse) mais dans le domaine du football. La fiche « scie à onglets » ne parle pas de boteuse : le GDT, pourtant friand des termes de la « langue courante », a oublié celui-ci.
Buffer 
Rectifieuse. Outil utilisé pour lisser ou arrondir une surface avec des disques abrasifs ou une courroie (buffer). Aussi appelé grinder.
Quand on tape les mots buffer et grinder dans le GDT, on est envoyé respectivement aux fiches « mémoire sensorielle » et « frottement » – rien qui concerne l’industrie de la construction. Le GDT a toutefois trois fiches « rectifieuse »
Cesar 
Scie alternative. Contraction des termes saw all
Cesar est absent du GDT. De même saw all (terme qui me semble curieux ; peut-être la journaliste a-t-elle mal transcrit le mot). Le GDT a toutefois quatre fiches « scie alternative ».
Drill 
Perceuse électrique. Utile pour percer un trou dans une surface (driller)
On trouve quatre fiches comprenant le mot drill. Il faut taper « electric drill » pour avoir l’équivalent français perceuse électrique. À noter que la fiche ne comporte pas de définition mais seulement une longue note. Curieux dans un dictionnaire !
Flashing
Solin réversible. Matériel pour toiture. Aussi appelé starter à toiture
À partir du seul mot flashing, il est impossible de trouver dans le GDT un équivalent français dans le domaine de la construction. Pourtant le GDT a bien une fiche « solin » avec équivalent anglais flashing.
Le GDT n’a rien sur starter à toiture.
Fort
Unité de mesure qui désigne une fraction de plus. Par exemple, l'expression «13 pouces 1/4 fort» désigne une mesure un peu plus grande que 13 pouces et 1/4.
Cet emploi relève de la langue parlée familière. Il est normal qu’il ne soit pas traité dans un dictionnaire spécialisé comme le GDT.
Fourrure ou forence
Latte de bois en épinette de 1 po x 3 po x 8 po
Le GDT a bien fourrure au sens de « pièce de bois pour combler un vide ». Forence est un terme déconseillé.
K3 
Panneau de particules de bois
Terme non traité. Marque de commerce ?
O'gee
Moulure décorative pour le plafond
Le GDT donne comme équivalent doucine.
O'ring
Petit anneau en caoutchouc
Le GDT donne comme équivalent joint torique.
Rip 
Aspenite. Copeaux de bois. Matériel utilisé pour des panneaux de construction.
Le GDT a le mot ripe, « canadianisme à éviter » (fiche produite par l’École québécoise du meuble en 1987). Cette condamnation d’un mot de cheu nous a échappé à l’attention des terminologues endogénistes : gageons que la fiche sera refaite sous peu!
Sheating
Fibre naturelle de bois. Utilisé pour des panneaux muraux.
Le mot sheating apparaît dans plusieurs fiches du GDT. Il s’agit probablement d’une planche de revêtement, terme traité par le GDT. L’usager non linguiste trouvera difficilement un équivalent français s’il ne connaît que le mot sheating.
Shimmer
Combler un vide à l'aide de bardeaux de cèdre. Pour mettre à niveau le bas d'une porte, par exemple, ou pour boucher un trou autour d'une fenêtre. Aussi appelé «caler».
Le GDT n’a pas le verbe franglais shimmer. Mais il a to shim, « caler ».
Skillsaw
Scie circulaire
Le GDT n’a pas skillsaw. L’usager qui ne connaît que ce terme ne trouvera pas l’équivalent scie ronde, pourtant traité par le GDT.
Stud
Colombage d'acier. Pour retrouver les colombages d'acier une fois le mur construit, on se sert d'un détecteur de colombage d'acier (stud finder).
Le terme anglais est visiblement incomplet. Le GDT a toutefois une fiche « stud finder », équivalent français : détecteur de montant. Ce qui permet de déduire que stud devrait probablement se traduire par montant.
Veneer
Contreplaqué. Panneau obtenu par une succession de couches de bois minces. Veneer est aussi un terme utilisé en dentisterie pour désigner une couche de porcelaine fine.
Le GDT donne comme équivalent placage, « feuille de bois mince ». Le GDT a plusieurs fiches « contreplaqué » mais aucune produite par ses propres terminologues. Selon le Bureau de normalisation du Québec, le contreplaqué est une « feuille de placage plus épaisse que le placage de surface ».
Washer 
Rondelle. Anneau de métal placé entre la vis et l'écrou.
Terme traité depuis longtemps par le GDT (fiche de 1973).
Zigonneux
Outil oscillant. Utilisé pour «zigonner», soit découper, meuler, décaper ou sabler. Le «zigonneux» peut aussi désigner la personne qui manie l'outil.
Terme non traité par le GDT.


Comme on le voit à la lecture de la liste des termes établie par la journaliste du Soleil, la langue du domaine de la construction comprend de nombreux termes familiers souvent empruntés à l’anglais (pas toujours, p.ex. zigonneux, qui est un québécisme), souvent sous une forme abrégée. Il est alors très difficile pour un usager de trouver un équivalent français dans le GDT.


Depuis quelques années, il est à la mode de parler de socioterminologie. Il serait peut-être temps que les adeptes de la socioterminologie aillent dans les entreprises et les commerces pour dresser la liste des termes en usage. La simple confrontation de la liste des termes relevés par la journaliste du Soleil avec la nomenclature du GDT montre déjà à quel point ce dernier semble peu adapté à sa mission de franciser la langue du travail.


Quand on voit tout le travail qu’il reste à faire en francisation, on comprend mal que l’Office préfère consacrer ses ressources à défaire et à refaire d’anciennes fiches (voir mon billet « À rebours de l’usage »).

*   *   *

Lors de mes recherches, je suis tombé sur une curiosité dont je ne peux m’empêcher de vous faire part : le GDT a une fiche « solin du trou d’homme » (produite, il est vrai, par le Canadien Pacifique) !



Ce qui évoque tout naturellement le sapin ambigu de la place Vendôme à Paris en 2014 :

 
Source: Le Monde, 17 octobre 2014